LES AMNÉSIQUES N’ONT RIEN VÉCU
D’INOUBLIABLE

Article publié dans la Lettre n° 327
du 23 mai 2011


LES AMNÉSIQUES N’ONT RIEN VÉCU D’INOUBLIABLE. Texte d’Hervé Le Tellier. Adaptation Frédéric Cherboeuf et Etienne Coquereau. Mise en scène Frédéric Cherboeuf avec Isabelle Cagnat et Etienne Coquereau.
Dans sa baignoire, un homme rêvasse tout en proférant des aphorismes de prime abord disparates, en réponse à une voix féminine off qui répète en leit-motiv A quoi tu penses ? Des bulles du bain moussant s’élève inopinément une jambe manifestement féminine, bientôt suivie du corps entier de la dame, qui désormais posera en direct 150 fois la lancinante question. Dans cet univers trivial de salle de bain, elle relancera sans répit la même interrogation, dans une palette étonnamment inventive de tonalités, et il se soumettra sans révolte à cette inquisition indiscrète, fouailleuse d’intimité. Au fil des réponses, et rythmée par les gestes et mimiques de sa compagne, s’élabore par la bouche de l’homme l’histoire de ce couple d’amants, entre tromperies, tendresses, séductions diverses, et regards amusés, cyniques, caustiques sur le monde, la vie, la mort, le temps qui passe, l’âge qui marque, les désillusions qui menacent.
Nul drap de bain ne pourrait sécher, au propre comme au figuré, les sentiments, les attirances irrésistibles des corps, les jalousies entrevues, le lien indissoluble des amants, même et surtout lorsque les chahuts aquatiques, la complicité amusée et les blagues désopilantes scandent ces moments quotidiens dont la presque impudeur choquerait peut-être si elle ne résonnait pas avec tant de justesse dans l’univers sensoriel et mental de chacun. Des mille aphorismes du texte originel d’Hervé Le Tellier, Frédéric Cherboeuf et Etienne Coquereau ont tiré le fil d’Ariane de la tendresse des corps déclinée au tempo des cœurs.
Etienne Coquereau se prête en victime rieusement consentante à l’inquisition pleine d’inventivité de la délicieuse et mutine Isabelle Cagnat. La mise en scène intelligente et primesautière évite le piège des nudités scabreuses. Le public hilare, s’il n’échappe pas aux aspersions, en sort la tête pleine de bulles de joie. Théâtre du Lucernaire 6e. A.D.


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