L'AMANT

Article publié dans la Lettre n° 318 du 15 novembre 2010


L’AMANT de Harold Pinter. Traduction Gérard Watkins. Mise en scène Didier Long avec Léa Drucker, Pierre Cassignard.
Sarah et Richard se sont installés en banlieue, loin du bureau de Richard et à l’écart du village. Il vivent depuis dix ans l’existence ordinaire d’un couple sans histoire, une routine où les mêmes gestes, les mêmes questions, les mêmes silences se répètent chaque matin puis chaque soir. Un mari et son épouse, qui au bout de ces dix ans n’auraient plus grand chose à se dire, si un dialogue pour le moins surprenant ne s’instaurait pas quotidiennement : « Ton amant vient aujourd’hui ? / Oui / À quelle heure ? / Trois heures ». La première question donne à penser qu’il s’agit là d’un couple « moderne » qui accepte la liaison de l’autre car Sarah sait, elle aussi, que Richard la trompe. Mais ce curieux échange, cocasse au premier abord, bascule peu à peu dans un autre plus angoissant car ils ont décidé de rompre la routine banale de leur existence. Entre le rythme monotone des matins et des soirs qui s’écoulent, leur relation est en fait plus diabolique et ils prennent grand soin que personne ne s’en doute.
À partir d’une relation conjugale qui se veut transparente, Harold Pinter explore les rapports humains et ses abysses dans un genre où il excelle : la comédie de menace. Sur la conversation monotone des époux, se greffe l’autre plus brûlante d’un couple qui se considère comme adultérin et qui semble tout à coup avoir une vie propre, indépendante, où s’impose le sexe, où affleurent les tensions, les angoisses et les peurs. Les deux personnages se dégagent alors de leur dialogue feutré du quotidien pour se glisser peu à peu dans une sorte de double monologue dans lequel se projette un tiers, Max, et où se livre une bataille, un jeu amoureux dans toute sa perversité.
Le beau décor de Jean-Michel Adam, fait de bois clair et d’acier, est parfait pour refléter le cocon froid et coûteux de l’intérieur bourgeois dans lequel évolue le couple qui, accomplissant les gestes journaliers, se lève et se couche, monte ou baisse les stores, boit un verre, dans un espace où danse l’éclairage subtil du levant et du couchant. Ses gestes sont accompagnés des bruits familiers du réveil qui sonne, de l’eau qui coule, d’un oiseau qui chante. Seule une porte ouvre de temps en temps l’univers rassurant des conjoints vers l’extérieur, où se projette la figure du laitier, mais cet échappatoire se referme tout aussi vite pour en ouvrir un autre sur des meubles ordinaires, réfrigérateur ou bibliothèque.
Didier Long a opté pour une mise en scène rigoureuse où coule avec force le dialogue ciselé d’Harold Pinter. Très à l’aise dans cet espace qu’ils occupent comme s’ils l’habitaient, Léa Drucker et Pierre Cassignard forment un couple saisissant. L’un passe du rôle du mari à celui de l’amant avec beaucoup d’à-propos pendant que l’autre se joue avec art des contradictions des deux rôles d’épouse et d’amante. Une passe d’armes d’une heure et quart, brève mais intense, que son auteur aurait sûrement appréciée. M-P P. Théâtre Marigny-Salle Popesco 8e.


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