L’AMANT de Harold Pinter. Traduction
Gérard Watkins. Mise en scène Didier Long avec Léa Drucker, Pierre
Cassignard.
Sarah et Richard se sont installés en banlieue, loin du bureau de
Richard et à l’écart du village. Il vivent depuis dix ans l’existence
ordinaire d’un couple sans histoire, une routine où les mêmes gestes,
les mêmes questions, les mêmes silences se répètent chaque matin
puis chaque soir. Un mari et son épouse, qui au bout de ces dix
ans n’auraient plus grand chose à se dire, si un dialogue pour le
moins surprenant ne s’instaurait pas quotidiennement : « Ton
amant vient aujourd’hui ? / Oui / À quelle heure ? / Trois heures
». La première question donne à penser qu’il s’agit là d’un
couple « moderne » qui accepte la liaison de l’autre car Sarah sait,
elle aussi, que Richard la trompe. Mais ce curieux échange, cocasse
au premier abord, bascule peu à peu dans un autre plus angoissant
car ils ont décidé de rompre la routine banale de leur existence.
Entre le rythme monotone des matins et des soirs qui s’écoulent,
leur relation est en fait plus diabolique et ils prennent grand
soin que personne ne s’en doute.
À partir d’une relation conjugale qui se veut transparente, Harold
Pinter explore les rapports humains et ses abysses dans un genre
où il excelle : la comédie de menace. Sur la conversation
monotone des époux, se greffe l’autre plus brûlante d’un couple
qui se considère comme adultérin et qui semble tout à coup avoir
une vie propre, indépendante, où s’impose le sexe, où affleurent
les tensions, les angoisses et les peurs. Les deux personnages se
dégagent alors de leur dialogue feutré du quotidien pour se glisser
peu à peu dans une sorte de double monologue dans lequel se projette
un tiers, Max, et où se livre une bataille, un jeu amoureux dans
toute sa perversité.
Le beau décor de Jean-Michel Adam, fait de bois clair et d’acier,
est parfait pour refléter le cocon froid et coûteux de l’intérieur
bourgeois dans lequel évolue le couple qui, accomplissant les gestes
journaliers, se lève et se couche, monte ou baisse les stores, boit
un verre, dans un espace où danse l’éclairage subtil du levant et
du couchant. Ses gestes sont accompagnés des bruits familiers du
réveil qui sonne, de l’eau qui coule, d’un oiseau qui chante. Seule
une porte ouvre de temps en temps l’univers rassurant des conjoints
vers l’extérieur, où se projette la figure du laitier, mais cet
échappatoire se referme tout aussi vite pour en ouvrir un autre
sur des meubles ordinaires, réfrigérateur ou bibliothèque.
Didier Long a opté pour une mise en scène rigoureuse où coule avec
force le dialogue ciselé d’Harold Pinter. Très à l’aise dans cet
espace qu’ils occupent comme s’ils l’habitaient, Léa Drucker et
Pierre Cassignard forment un couple saisissant. L’un passe du rôle
du mari à celui de l’amant avec beaucoup d’à-propos pendant que
l’autre se joue avec art des contradictions des deux rôles d’épouse
et d’amante. Une passe d’armes d’une heure et quart, brève mais
intense, que son auteur aurait sûrement appréciée. M-P P. Théâtre Marigny-Salle
Popesco 8e.