JE VOUS SALUE MAMIE

Article publié dans la Lettre n° 284


JE VOUS SALUE MAMIE de Sophie Artur et Marie Giral. Mise en scène Justine Heynemann avec Sophie Artur.
La vie vous fait parfois de ces vacheries ! Vous naissez dans une famille à peu près normale et puis tout à coup une mère malade, un père « absent », et vous vous retrouvez élevée par votre grand-mère. Il y a grand-mère et grand-mère me direz-vous ! Celle qui, débarrassée de l’éducation de ses enfants, ne veut être qu’une « copine » pour sa petite-fille ou cette autre qui vous montrera le chemin de la vie avec indulgence, forte de son expérience de mère. Et puis il y a celle dont Sophie Artur et Marie Giral nous brossent un portrait qui sonne cependant comme quelque chose de connu, de déjà vu, soit dans sa propre famille, soit dans celles de proches ou d’amis. La grand-mère au caractère trempé dans l’airain, ayant « l’indignation bruyante de ceux qui ont toujours raison », d’une effroyable sévérité, qui au nom d’un code de la bienséance tout à fait personnel ne passe rien, alternant remontrances, punitions, humiliations et privations avec une implacable froideur, détruisant une enfance sans sourciller. La petite fille qui n’a pas connu autre chose que les Noëls à Lourdes, sans sapin, sans cadeaux, les grandes vacances étroitement surveillées dans la maison de famille voit alors comme un peu de soleil dans l’eau froide du quotidien ce séjour chez l’oncle durant lequel, abasourdie, elle découvre qu’une autre vie existe, celle grisante des demeures avec piscine au soleil, des vêtements à la mode offerts par l’oncle débonnaire et attentif, et cette soirée chez Eddie Barclay ou champagne, caviar et chariots de desserts lui ouvrent tout à coup les horizons illimités du bonheur. Cette parenthèse restera gravée dans sa jeune mémoire pour toujours et elle s’en nourrira les soirs de spleen. Et lorsque cet être-là craint, abhorré mais quelque part aussi aimé, finira à 97 ans par « s’extraire de cette damnation terrestre qui n’avait que trop duré», il restera toujours dans le cœur de la petite fille, devenue elle-même mère, un complexe de culpabilité trop ancré pour disparaître, complexe de ne pas avoir été tout à fait à la hauteur de ce que l’on exigeait d’elle. Cette disparition lui permettra pourtant de considérer autrement son bourreau: « Pourquoi un tel caractère ? » L’extrême rigueur d’une éducation transmise au nom de la tradition, la perte coupable de deux bébés morts avant d’être baptisés, le mari décédé, les filles enterrées elles aussi, toute une vie gâtée au nom d’une éducation aussi rigoriste que surannée.
Seule sur scène, dans le décor du dernier foyer de la grand-mère avec ses multiples souvenirs, Sophie Artur raconte ce que fut cette « mamie » parmi tant d’autres, la proie d’une religion prise au pied de la lettre avec tous ses excès. Et encore conclut-elle: elle aurait pu naître en Afghanistan et porter la burqa, en Inde et voir son sari embrasé par une belle famille qui a trop vite dépensé la dot, en Israël la tête rasée et éternellement coiffée d’une perruque ou encore excisée dans un pays d’Afrique. Entre humour et gravité, les deux auteurs posent les questions graves du fanatisme religieux mais aussi celles du sexisme, avec des mots si simples qu’ils engendrent à chaque phrase une émotion communicative. Théâtre La Bruyère 9e. Lien : www.theatrelabruyere.com.


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