DON QUICHOTTE CONTRE L'ANGE BLEU

Article publié dans la Lettre n° 280


DON QUICHOTTE CONTRE L’ANGE BLEU de Jérôme Savary. Mise en scène de l’auteur. Direction musicale Roland Romanelli. Décors Ezio Toffolutti. Costumes Ezio Toffolutti, Michel Dussarrat, Vincent Darre. Chorégraphies Brian Scott Bagley, Sabine Leroc, Marco Oranje, Laurence Roussarie avec treize comédiens dont Arielle Dombasle, Joan Crosas, Frédéric Longbois, Jérôme Savary, guitare et chant flamenco Paco El Lobo, piano et accordéon Roland Romanelli, claviers Sabine Jeangeorges.
La vue aride et magnifique de La Mancha s’offre aux yeux ravis de don Quichotte qui dans son havre de paix se livre à sa passion favorite : la lecture des romans de chevalerie pendant que son écuyer, le débonnaire Sancho, s’occupe d’une manière plus « charnelle ». Leur tranquillité et leur bonheur simple vont tout à coup être troublés par l’arrivée intempestive d’une cohorte d’ouvriers européens si on en juge les différentes langues qu’ils utilisent pour s’exprimer : l’Europe est là, n’est-il pas ? Ils mettent à mal la région pour construire l’aéroport international de La Mancha et la présence du vieil homme ne semble pas les troubler outre mesure : « Allez, dégagez papy !». Ce n’est pas tant l’atterrissage du premier boeing qui atterre notre chevalier à la triste figure mais un panneau publicitaire dressé tout à coup dans le paysage, vantant le célèbre Moulin Rouge parisien et la vedette de la revue, la très aguichante Daisy Belle, surnommée l’Ange bleu pour sa fâcheuse tendance à se prendre pour la réincarnation de la grande Marlène. Les appâts affichés de la belle l’indignent bien davantage que l’aéroport. Il ne lui en faut pas davantage pour faire sceller Rocinante et partir vers le nord en quête de cette « catin » provocante qu’il faut égorger toute affaire cessante. Ce n’est pas un moulin de plus qui va l’impressionner. Munis d’une carte, nos deux compères parviennent enfin à localiser le Moulin Rouge. Ils vont vite apprendre que Daisy Belle ne sévit pas au Moulin Rouge mais au Moulin Rose, nom quelque peu arrangé par son directeur, le très douteux Gaétan, qui espère dérouter les visiteurs étrangers d’un moulin vers l’autre. Une fois dans la place, don Quichotte s’apprête à mettre sa menace à exécution mais « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » !
L’obligation de quitter l’Opéra Comique n’a pas empêché Jérôme Savary de continuer son chemin. Il semble même que cette « mise à la retraite »l’ait plutôt galvanisé. Ce ne sont pas les idées extravagantes qui lui manquent encore moins les théâtres pour l’accueillir même si le budget en a pris un coup, ils sont moins nombreux sur scène. Cette histoire délirante est l’objet d'un spectacle du même type. La mondialisation, les errances du XXIe siècle, les montres Rolex et Berlusconi, tout est bon pour surprendre et Jérôme Savary et son équipe de fidèles qu’ont rejoint quelques nouveaux, dont le célèbre Joan Crosas, impayable don Quichotte, ne s’en privent pas. Ils s’en donnent même à cœur joie s’embarquant dans des péripéties inénarrables que seul Savary sait inventer. Tout ce qui fait l’âme et l’esprit de ses spectacles vivants est là, agrémenté de French cancans endiablés, d’un contorsionniste étonnant (Marc Oranie), de tours de magie, de chansons et de chant flamenco, sans oublier les calembours, la pointe de poésie et de nostalgie. Daisy Belle n’est autre qu’Arielle Dombasle, icône intouchable et sophistiquée, aussi à l’aise et efficace dans ce genre de spectacle que dans un film d’Eric Rohmer ou au Crazy Horse Saloon. Les décors et les costumes sont démentiels et l’arrivée de notre déesse parée en D.S. plutôt saisissante. Rocinante, rosse plus vraie que nature, est d’un réalisme stupéfiant. Quant à la scène époustouflante du restaurant « Au chien qui fume » elle restera sans aucun doute dans toutes les mémoires. Théâtre de Paris 9e (01.48.74.25.37).


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