TOYEN
L'écart absolu

Article publié dans la Lettre n°548 du 25 mai 2022



 
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TOYEN. L’écart absolu. Après Prague et Hambourg, c’est au tour de Paris d’accueillir cette rétrospective comptant plus de 150 œuvres (peintures, dessins, collages et livres) venant de musées et de collections privées. Le commissariat français est assuré par Annie Le Brun dont on avait déjà apprécié le travail en 2014 avec « Sade. Attaquer le soleil » au musée d’Orsay (Lettre n°375).
Marie Čermínová (Prague 1902 – Paris 1980) pris le nom de Toyen d’après le mot français « citoyen ». Bien avant d’avoir lu l’utopiste Charles Fourier qui préconisait de s’éloigner des routes connues, Toyen pratique « l’écart absolu ». C’est ainsi qu’elle quitte sa famille à 17 ans pour rejoindre les milieux anarchistes et communistes, qu’elle abandonne au bout de quelques mois l’École des arts décoratifs, qu’elle rejoint les avant-gardes de l’Europe centrale, alors en pleine mutation dans tous les domaines artistiques et intellectuels, qu’elle participe au surréalisme international et ne cesse de dire qu’elle n’est pas peintre, une affirmation plutôt contredite tout au long des cinq parties du parcours !
Avec « Mirage (1919-1929) » on découvre les premières œuvres de Toyen qui vient de rencontrer sur une île croate le jeune peintre Jindřich Štyrský, lui-aussi en rupture de tout ordre établi. Leur collaboration durera jusqu’à la mort de ce dernier en 1942. Les premières œuvres exposées témoignent d’une certaine naïveté (Les Rois mages, 1925),  d’une attirance pour les spectacles en tous genres (Les Avaleurs d’épées, 1925 ; Le Cirque Conrado, 1925 ; Les Danseuses, 1925) et d’une joie de vivre (Le Paradis des noirs, 1925). Ce tableau témoigne, comme d’autres, et surtout ses croquis et, plus tard, ses illustrations d’ouvrages de Sade ou Pierre Louÿs, de son intérêt pour l’érotisme, une composante majeure de sa sensibilité.
Avec « La femme magnétique (1930-1939) », les motifs abstraits apparus dès ses débuts (Nature morte cubiste, 1923) sont de plus en plus présents dans ses toiles avec une touche d’érotisme et surtout de surréalisme. C’est manifeste avec des peintures telles que Le Spectre jaune (1934), Le Reste de la nuit (1934) ou encore La Dormeuse (1937).
Pendant la guerre (« Cache-toi, guerre ! (1939-1945) »), Toyen n’expose rien – elle explique que de toute façon elle n’en aurait pas eu le droit – mais dessine deux cycles effrayants avec des animaux déchiquetés, des jouets brisés et des squelettes, Tir (1939-1940) et Cache-toi guerre ! (1940-1944) dont on voit une douzaine de dessins. En 1939 elle illustre le livre du jeune poète Jindřich Heisler, Seules les crécerelles pissent tranquillement sur le Décalogue. Pendant la guerre elle le cache chez elle car il est traqué en tant que juif, et compose avec lui une suite de « poèmes réalisés », Depuis les casemates du sommeil (1940-1941). Toyen continue aussi de peindre comme le montre Relâche (Après la représentation) (1943), L’Avant-printemps (1945) ou encore À la table verte (1945).
La section suivante, « Le devenir de la liberté (1947-1965) », nous emmène à Paris où Toyen et Heisler se sont exilés pour échapper au totalitarisme stalinien qui s’abat sur l’Europe centrale. Ils participent à la création de la revue surréaliste Néon. De nombreuses toiles illustrent cette période dont se détachent les évocations féminines de la série Les sept Épées hors du fourreau (1957). Toutes sortes de documents, plus surprenant les uns que les autres, comme cette « Boîte alerte » (un luxueux catalogue d’exposition) ou ces invitations en forme de main, nous montrent ce qu’était le surréalisme ces années-là. La commissaire tient aussi à nous expliquer que le surréalisme n’était pas une avant-garde comme une autre mais avant tout une histoire d’amitié entre tous les membres de ce groupe réuni autour d’André Breton.
Le parcours s’achève avec « Le nouveau monde amoureux (1966-1980) », d’après le titre d’un ouvrage de Charles Fourier (1772-1837), édité seulement en 1967, que Toyen a repris en 1968 pour nommer une de ses toiles. Ses peintures, tout autant que ses dessins et gravures pour le cycle Débris de rêves pour Le Puits dans la tour de Radovan Ivsic, sont un mélange d’onirisme et d’érotisme discret. Toyen se met aussi à la pratique du collage, en particulier dans deux séries, Vis-à-vis (1973) et les masques pour la pièce de théâtre de Radovan Ivsic, Le Roi Gordogane (1976). Une rétrospective magistrale pour une artiste quasiment oubliée. R.P. Musée d’art moderne de Paris 16e. Jusqu’au 24 juillet 2022. Lien : www.mam.paris.fr.


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