Parcours en images de l'exposition

LES ORIGINES DU MONDE
L'invention de la nature au XIXe siècle

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°526 du 23 juin 2021



 

Entrée de l'exposition


1 - PROLOGUE

Scénographie
1 - PROLOGUE

Pour « penser » notre rapport à la Nature, un détour par le XIXe siècle s’impose. C’est au XIXe siècle que la relation de l’homme au monde naturel se transforme radicalement. Le recensement des terres, des plantes et des animaux s’étend à tous les continents. On découvre l’ancienneté de la terre et de la vie ; l’industrialisation et l’urbanisation modifient les paysages.

C’est au cours de ce siècle que naissent les sciences modernes de la vie et de la terre : biologie, paléontologie, chimie organique, physiologie, géologie, bactériologie, anthropologie, écologie…

Mais ce sont surtout les théories de l’évolution qui ont modifié profondément notre conception de l’homme, de ses origines et de sa place dans la nature. À partir de L’Origine des espèces, publié par Darwin en 1859, l’être humain participe d’un arbre généalogique qui embrasse tous les êtres vivants.

L’exposition revisite un « long XIXe siècle », de la Révolution à la Première guerre mondiale, où les principaux jalons des découvertes scientifiques sont confrontés avec l’imaginaire artistique.

Le Prologue rappelle les mythes des origines qui ont structuré l’imaginaire occidental : les récits bibliques de la Création du monde en six jours, le jardin d’Eden, les premiers parents - Adam et Ève façonnés«à l’image de Dieu» -, la nomination des animaux par Adam - seule créature douée du langage-, la Chute, le Déluge, enfin et l’Arche de Noé. Le monde biblique est un monde clos, un jardin créé pour l’homme, qui en a l’usage et la garde.

 
Texte du panneau didactique.
 
Conrad Meit (vers 1480-vers 1550) [entourage de]. Adam et Ève, 1re moitié du XVIe siècle. Marbre, 48 × 37 × 7 cm. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures. RF 1530.
 
Van Oosten Isaack (1613-1661). Le Paradis Terrestre. Adam et Eve et les animaux de la Création, 1625-1650. Huile sur toile. Rennes, musée des Beaux-Arts. Photo © MBA, Rennes, Dist. RMN-Grand Palais / Louis Deschamps.

Dans le premier récit de la Genèse, Dieu crée l’homme à son image, mâle et femelle, et lui donne pouvoir de commander aux animaux. Dans le second récit, Dieu - artiste et jardinier - façonne Adam avec le limon de la terre et le place dans un Jardin des délices, pour qu’il le cultive et le garde. Afin qu’il ne soit pas seul, Dieu l’entoure de tous les animaux. Adam, seule créature douée du langage, leur donne un nom. Mais parmi eux « il ne se trouvait point d’aide pour Adam qui lui fût semblable ». La femme est alors tirée du corps même d’Adam.
 
Filippo Palizzi (1818-1899). Après le déluge, 1864. Huile sur toile. Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte. © Christie's Images Ltd - Artothek.

Dans la Genèse, Dieu provoque le Déluge pour faire disparaître de la Terre une humanité mauvaise. Seul Noé, qui est juste, est sauvé, avec sa famille et un couple de chaque espèce animale. Son Arche est une ménagerie idéale, un condensé de la Création. Dans cette oeuvre presque contemporaine de L’Origine des espèces de Charles Darwin, le peintre napolitain Palizzi montre davantage la joie des animaux sortant de l’Arche que l’horreur du cataclysme. Palizzi a observé des chameaux et des ours en Moldavie, et étudié les animaux du Jardin des plantes à Paris.


2 - DE LA CURIOSITÉ À LA STUDIOSITÉ

Scénographie
2 - DE LA CURIOSITÉ À LA STUDIOSITÉ

Jusqu’au XVIIIe siècle, le monde est pensé comme un jardin où la nature est au service de l’homme. À la Renaissance se multiplient les descriptions précises de plantes et d’animaux et paraissent les premiers traités illustrés de zoologie. Des princes, des humanistes et des savants créent des «cabinets de curiosités » mêlant naturalia (objets naturels), artificialia (objets créés par l’homme) et mirabilia (objets étonnants et merveilleux). Les voyages d’exploration conduisent à collectionner et acclimater des espèces inconnues en Europe dans les jardins et les ménageries princiers. La fascination des grands animaux (rhinocéros, girafe…) inspire les artistes. La collecte, l’inventaire, la description et la classification des minéraux, des végétaux et des animaux semblent réitérer la nomination des animaux par Adam et ramènent la diversité des « nouveaux mondes» dans l’orbite de la civilisation chrétienne.

Nommer les espèces est au coeur de l’entreprise du naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), le père de la nomenclature binomiale des espèces (combinaison de deux noms latins) et de la classification en classe, ordre, genre, espèce et variété.

Le comte de Buffon (1707-1788), intendant du Jardin du Roi et du Cabinet d’histoire naturelle du Roi (1739), aspire aussi à un inventaire complet de la Nature ; mais il délaisse les classifications, jugées arbitraires, et recherche les « causes naturelles » des phénomènes. Son Histoire naturelle en 36 volumes illustrés (1749-1789) connaîtra un immense succès.

 
Albrecht Durer (1471-1528). Le Rhinocéros, 1515. Estampe, gravure sur bois, 21,6 × 30,2 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild. L 37 LR/245 Recto, Folio 109.

Texte du panneau didactique.
 
Pietro Longhi (1701-1785) [attribué à]. Le Rhinocéros [Il Rinoceronte], vers 1751. Huile sur toile, 55,5 × 72 cm. Vicence, Gallerie d’Italia – Palazzo Leoni Montanari Inv. 196. Archive, Art, Culture and Historical Heritage Head Office Department, Intesa Sanpaolo.
Focus - Le rhinocéros Clara

« Mademoiselle Clara », rhinocéros indien, est le cinquième spécimen arrivé vivant dans l’Europe moderne, en 1741. C’est aussi le premier à gagner une célébrité internationale, égalant celle du rhinocéros gravé par Dürer en 1515. Avec son «imprésario », le capitaine hollandais Douwe Mout van der Meer (1705-ca. 1761), elle réalisera un Grand Tour d’Europe de douze années qui déclenchera une véritable« rhinomanie ». Endossant tour à tour le rôle d’animal de compagnie, de monstre biblique, de prodige convoité par les rois, de phénomène de foire, de merveille de la Nature inspirant les artistes, et enfin de « type » d’une espèce dans l’Histoire naturelle de Buffon et dans l’Encyclopédie, Clara incarne parfaitement le passage de la curiosité à la studiosité qui s’opère au siècle des Lumières.
 
Nicasius Bernaerts (1620-1678). Étude d'autruche, 1665-1668. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, en dépôt au musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard, 1999.
 
Nicasius Bernaerts (1620-1678). Tortue sur un bord de mer, avec trois pêcheurs, 1665-1668. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, en dépôt au musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard, 1999. Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René- Gabriel Ojéda.

Avec la découverte de « nouveaux mondes » aux XVIe et XVIIe siècles, on acclimate et collectionne des espèces importées dans les jardins et les ménageries princiers et royaux. Le peintre flamand Nicasius Bernaerts représentera les animaux de la Ménagerie royale de Versailles qu’affectionnait le jeune Louis XIV. Ces portraits faisaient partie d’un ensemble pour le salon octogonal de la Ménagerie. Sous la Révolution, les animaux survivants formeront le noyau de la ménagerie du Jardin des plantes.
 
Jacopo Zucchi (1540 - vers 1590). Les pêcheurs de corail (L’Allegoria dell’America), 1615-1630. Huile sur cuivre. Rome, Galleria Borghese. © Ministero per i Beni e le Attività Culturali e per il Turismo – Galleria Borghese.
 
Anne Coster (1744-1818). Panaches de mer, lithophytes et coquilles. Paris, musée du Louvre. Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier.
Scénographie
Focus - LES CABINETS DE CURIOSITÉ

Au XVIe siècle, des collections naturalistes sont constituées par des médecins, des pharmaciens, des académiciens. Celle d’Ulisse Aldrovandi (1522-1605) à Bologne, fondée sur la collecte systématique des spécimens, en est l’archétype. Des cabinets de curiosités ou chambres des merveilles sont créés par des princes et des humanistes dans toute l’Europe, de Florence à Ambras et à Prague... Ces collections reflètent les aspirations encyclopédiques de l’humanisme ; elles atteignent leur zénith au milieu du XVIIe siècle et perdureront jusqu’à la Révolution. Elles préfigurent les musées modernes mais visaient surtout à créer un microcosme distillant l’essence de l’univers.
 
Texte du panneau didactique.
 
Alexandre Isidore Leroy de Barde (1777-1828). Réunion d'oiseaux étrangers. Paris, musée du Louvre, D.A.G. Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi.


3 - IMMENSITÉ ET DIVERSITÉ DU MONDE

Scénographie
3 - IMMENSITÉ ET DIVERSITÉ DU MONDE

Au XVIIIe siècle déjà, des scientifiques s’embarquent aux côtés de Bougainville (1766), Cook (1768) ou La Pérouse (1785), et des planches d’illustrations de leurs observations sont publiées. Mais au XIXe siècle, l’expansion coloniale des États européens, accélère l’accroissement des échanges maritimes et des missions scientifiques incluant naturalistes et artistes. Le nombre d’espèces répertoriées explose, et le classement fondé sur la fixité des espèces ne suffit plus à rendre compte de la diversité du vivant.

L’exposition évoque trois expéditions emblématiques : le voyage en Australie (1800-1804) de Nicolas Baudin avec le naturaliste Péron et les artistes Charles Alexandre Lesueur, Nicolas-Martin Petit et Michel Garnier ; celui en Amérique du Sud (1799-1804) de Humboldt et Bonpland, qui vaut au premier le surnom de « second découvreur de l’Amérique » et inaugure une pensée écologique ; et celui de Charles Darwin à bord du Beagle, en Amérique du Sud et en Australie (1832-1835).

Les peintres naturalistes et animaliers, les paysagistes inspirés par la « géographie des plantes », celle de Humboldt particulièrement, illustrent la diversité des espèces. L’animal fait son entrée dans les nouveaux musées d’Histoire naturelle et les jardins zoologiques. Les serres et les jardins botaniques s’enrichissent de plantes exotiques. Avec l’océanographie, on se passionne pour les aquariums et la vie dans les abysses ; Jules Verne, avec Vingt mille lieues sous les mers (1869), magnifiquement illustré par Neuville et Riou, frappera l’imagination de ses contemporains.

 
Texte du panneau didactique.
 
Arbre géant dans la forêt tropicale brésilienne, 1830. Huile sur toile, 47 × 34 cm. Berlin, Die Stiftung Preußische Schlösser und Gärten. Berlin-Brandenburg. GKI 4341.
 
Jacques-Laurent Agasse (1767-1849). Girafe nubienne, 1827. Huile sur toile. Londres, The Royal Collection Trust. Photo : © Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2020.


Cette girafe de Nubie offerte au roi George IV est représentée avec Edward Cross, le responsable de la ménagerie des Royal Surrey Gardens à Londres. Avec la multiplication des voies commerciales au XVIIIe siècle, de nombreux animaux « exotiques » arrivent en Europe. Certains deviennent des célébrités. Des trois girafes offertes par le pacha d’Égypte Méhémet-Ali en 1826 aux rois de France Charles X, et d’Angleterre, George IV, ainsi qu’à l’empereur héréditaire d’Autriche, François Ier, seule Zarafa, premier spécimen arrivé en France, vécut suffisamment pour susciter une « girafomanie ».
 
Carl Blechen (1798-1840). Intérieur de la palmeraie de l’île aux Paons de Berlin [Das Innere des Palmenhauses], 1832-1833. Huile sur papier marouflé sur toile, 64 × 56 cm. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz. A I 617.

Focus - Serres et ménageries

À la fin du XVIIIe siècle, les ménageries princières disparaissent peu à peu au profit de jardins zoologiques ouverts au public. À Paris, le Muséum national d’histoire naturelle se dote d’une ménagerie conçue pour divertir mais aussi pour étudier les animaux. Les peintres ont ainsi accès à une variété d’animaux exotiques ou rares. Les serres se constituent à partir des jardins des simples (plantes médicinales), des orangeries princières, des institutions botaniques, des serres privées et des jardins horticoles. De grandes serres publiques voient le jour, comme le Jardin d’hiver sur les Champs-Élysées à Paris (1847) ou le Crystal Palace à Londres (1851).

 
Eduard Ender (1822-1883). Alexander von Humboldt et Aimé Bonpland dans la jungle [Alexander von Humboldt und Aimé Bonpland in der Urwaldhütte], vers 1850. Huile sur toile, 80 × 150 cm. Berlin, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften. Photo : © Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, photo: Judith Affolter.
 
Paul Meyerheim (1842 – 1915). La Lionne jalouse, 1885-1890. Huile sur toile, 49,6 × 69 cm. Francfort, Städel Museum. © Christie's Images Ltd – Artothek.
Scénographie
 
Nicolas Maréchal (1753-1802). Le magot. Familles espèces : Cercopithécidés. Planche : Mammifères, 69, Folio : 31. Paris, Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN), bibliothèque centrale. Photo : © Muséum national d'Histoire naturelle, Dist. RMN-Grand Palais / image du MNHN, bibliothèque centrale.
 
Pierre-Joseph Redouté (1759 - 1840). Paeonia x suffruticosa Andrews (Renonculacées) : Paeonia moutan Bonpland, Malmaison, fin 18e-début 19e siècle. Aquarelle sur vélin, 46 x 33 cm. Collection des vélins, portefeuille 41, fol. 28. Photo © : Muséum national  d'histoire naturelle, Dist. RMN / Tony Querrec.
 
Nicolas Maréchal (1753 - 1802). Ours blanc - Ursus maritimus Phipps (Ursidés) : Ours polaire, 1796. Aquarelle sur vélin, 33 x 46 cm. Collection des vélins, portefeuille 70, fol. 78. Photo : © Muséum national d’histoire naturelle, dist. RMN / Tony Querrec.
 
Antoine-Louis Barye (1795-1875). Honoré Gonon (1780-1850) [fondeur]. Tigre dévorant un gavial, 1832. Bronze a patine brun-rouge a la cire perdue, 39,7 × 105,6 × 40,5 cm. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures. RF 2991.
Scénographie
Focus - LES TRÉSORS DE LA MER

L'océanographie culmine avec la campagne britannique du HMS Challenger (1872-1876). On se passionne pour la vie dans les fonds sous-marins. L'aquarium (aquatic vivarium), inventé par l'autodidacte Jeanne Villepreux-Power (1794-1871) et popularisé par le naturaliste Philip Henry Gosse (1810-1888), devient une pièce décorative de la maison victorienne, montrant la beauté et la variété de la Création. De grands aquariums publics sont construits à Londres (1853), à New York (1856), à Paris au Jardin d'acclimatation (1861), à Berlin (1869). Pour l'exposition universelle de Paris en 1867, apogée du Second Empire, deux aquariums géants sont créés sur le Champ de Mars, avec huit cents animaux marins, qui inspireront Jules Verne pour Vingt mille lieues sous les mers. Au XXe siècle, depuis Mélès, les cinéastes ne cesseront d'être fascinés par l'étrange beauté des abysses.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jules Verne (1828-1905), Édouard Riou (1833-1900) et Alphonse de Neuville (1836-1885) [illustrations]. Vingt mille lieues sous les mers, frontispice, Paris, Hetzel, 1871. Livre imprimé, 28,3 × 19,5 × 3 cm. Paris, Bibliothèque nationale. Photo : BnF.
 
Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846). Méduse Cyanea lamarcki, entre 1808 et 1810. Aquarelle sur vélin, 44,1 x 28,5 cm. Le Havre, Muséum d’histoire naturelle. Crédit photo : Le Havre, Muséum d’histoire naturelle.
 
Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846). Méduse Chrysaora. Aquarelle et crayon sur vélin, 43,2x 27,9 cm. Entre 1808 et 1810. Le Havre, Muséum d’histoire naturelle. Crédit photo : Le Havre, Muséum d’histoire naturelle.
 
Ferdinand Barbedienne (1810-1892) [fondeur]. Edouard Lièvre (1828-1886) [dessinateur]. Aquarium et son piédestal, vers 1875. Verre, bronze argente, 143 cm (hauteur totale), 57,7 × 60 cm (aquarium), 85 × 75 × 62 cm (piedestal). Collection Ramy Boutros.
 
Gustave Moreau (1826-1898). Galatée,  vers 1880. Salon de la Société des Artistes français, Paris, 1880. Huile sur bois. Paris, musée d’Orsay.


4 - ANTIQUITÉ DU MONDE

Scénographie
Scénographie
4 - ANTIQUITÉ DU MONDE

Au début du XIXe siècle la géologie découvre l’inimaginable ancienneté de la Terre, estimée jusqu’alors à quelques milliers d’années. L’image d’un monde façonné par des temps très longs, calculés en centaines, voire en millions d’années se substitue à celle du monde créé en six jours des Écritures. Les savants discutent du déluge biblique, des glaciers, des volcans (neptunisme ou volcanisme). George Cuvier (1769-1832) en France, William Buckland (1784-1856) en Angleterre, expliquent les extinctions et successions d’espèces par la survenue de catastrophes (catastrophisme). Le géologue Charles Lyell (1797-1875), pour sa part, défend l’uniformitarisme qui postule des transformations lentes et graduelles, et la permanence des processus exercés dans un passé lointain ; le passé pourrait ainsi se déduire de la connaissance du présent.

L’étude des fossiles révèle l’ancienneté de la vie. Avec la découverte des espèces éteintes par Cuvier, la chronologie biblique et le « fixisme » (absence de transformation des espèces) sont remis en cause. Les dinosaures intriguent et fascinent. Comment représenter ce bestiaire disparu ? En 1854, les modèles de dinosaures grandeur nature du Crystal Palace à Londres préfigurent un Jurassic Park.

La découverte d’ossements humains préhistoriques suscite également maintes questions sur l’apparence et le mode de vie de ces premiers hommes. Le vulgarisateur scientifique Louis Figuier (1819-1894) diffuse largement des reconstitutions de la vie primitive et certains artistes se spécialisent dans la représentation de l’humanité à l’Âge de pierre.

 
Texte du panneau didactique.
 
Brett John (1831-1902). Le glacier de Rosenlaui. Royaume-Uni, Londres, Tate Collection. Photo © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography.
Scénographie
Focus - ANTIQUITÉ DE LA TERRE

En peinture, le paysage témoigne de la fascination pour la géologie. Les peintres suivent les géologues et les naturalistes là où l’histoire de la Terre s’offre à livre ouvert. Les œuvres de Carl Gustav Carus (1789-1869) ou de Caspar
David Friedrich (1774-1840) dénotent un regard stratigraphique relevant les indices d’une lente genèse du monde.

Les glaciers déplaçant des roches de John Brett (1831-1902) et Frederic Edwin Church (1826-1900), ou les vues d’éruptions volcaniques, depuis Pierre-Jacques Volaire (1729-1799), évoquent ces transformations du paysage. Les tempêtes et les déluges de William Turner (1775-1851) et de John Martin (1789-1854), au croisement des sciences de la Terre (« catastrophisme») et de la recherche du «sublime » défini par le philosophe Edmund Burke (1729-1797), engendrent un effroi délicieux.

 
Texte du panneau didactique.
 
Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Le Pont du Diable et les gorges de Schöllenen [The Devil’s Bridge and Schöllenen Gorge], 1802. Graphite, aquarelle et gouache sur papier, 47,1 × 31,8 cm. Londres, Tate.
 
Briton Riviere (1840-1920). Au-delà de l’homme [Beyond Man’s Footsteps], vers 1894. Huile sur toile, 119 × 184,5 cm. Londres, Tate N01577.
 
Frederic Edwin Church (1826 - 1900) et DeWitt Clinton Boutelle (1820 – 1884). Cotopaxi, Ecuador, 1862. Huile sur toile, 87,6 x 142,2 cm. Reading Public Museum, Reading, Pennsylvanie, Etats-Unis. © Reading Public Museum. Nota : Le prêt de cette œuvre n'a pu être prolongé.
Pierre-Jacques Volaire (1729-1799). Éruption du Vésuve, 1771. Huile sur toile, 73,3 × 162 cm.
Le Havre, musée d’Art moderne André-Malraux. 2015.2.11.
 
Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Tempête en mer avec une épave en feu [Stormy Seawith Blazing Wreck], vers 1840. Huile sur toile, 99,4 × 141,6 cm. Londres, Tate. Photo © Tate, Londres, Dist.RMN-Grand Palais / Tate Photography.
 
Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Carnet Saint Gothard et Mont Blanc : la source de l'Arveyron (St Gothard and Mont Blanc Sketchbook [Finberg LXXV], The Source of the Arveyron). Royaume-Uni, Londres, Tate Collection. Photo © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography.
Scénographie
Focus - ANTIQUITÉ DE LA VIE

La découverte des fossiles de grands animaux (megatherium, mastodonte), ou l’étrange « reptile volant» que George Cuvier nomme en 1809 « ptérodactyle » enracinent l’histoire de la vie dans un passé toujours plus lointain. Cuvier mettra au point avec Alexandre Brogniart (1770-1847) une méthode stratigraphique permettant de lier les strates de la couche terrestre et la nature des fossiles. Les « fossilistes » anglais découvrent des restes encore plus étranges : les dinosaures (megalosaurus et iguanodon), ainsi nommés par le paléontologue Richard Owen, en 1842, à partir du grec ancien deinόs « terrible » et saûros « lézard ». Les plésiosaures et ichtyosaures, «reptiles » marins mis au jour par Mary Anning (1789-1847) en Angleterre et décrits par Conybeare (1787-1857) sont repris dans l’iconographie populaire, de Jules Verne à Figuier et Flammarion, et jusque dans les fresques pour la faculté de pharmacie de Paris d’Albert Besnard (1839-1934).
 
Texte du panneau didactique.
 
Fémur de mastodonte Mammut americanum de l’Ohio. Moulage en résine, 112 × 51 × 28 cm. Paris, Muséum national d’histoire naturelle. MNHNF-AC2020.
 
Benjamin Waterhouse Hawkins (1807-1894). Iguanodon, 1854. Plâtre peint, 31 × 49 × 24 cm. Paris, Museum national d’histoire naturelle.
 
Robert Farren (1832-1912). Duria Antiquior, a more ancient Dorset, vers 1850. Huile sur toile, 166 × 244 cm. Cambridge, Sedgwick Museum of Earth Sciences. CAMSM P.248.
Scénographie
Focus - DINOSAURES DU CRYSTAL PALACE

Les dinosaures du Crystal Palace à Londres restitués grandeur nature par le sculpteur Benjamin Waterhouse Hawkins (1807-1894) avec l’appui de l’anatomiste et paléontologue Richard Owen, fondateur du Musée d’histoire naturelle de Londres, sont un premier exemple de « parc à thème » préhistorique. Selon les classifications actuelles, seuls trois de ces animaux (Iguanodon, Megalosaurus et Hylaeosaurus), parmi les trente-trois réalisés, sont en réalité des dinosaures (les autres étant des reptiles et des mammifères marins ou volants). Pour l’inauguration, Hawkins organisera le 31 décembre 1853 un dîner de Nouvel An avec vingt-et-un scientifiques, journalistes et mécènes attablés dans l’Iguanodon qui sera largement commenté dans la presse. Vingt-neuf sculptures existent toujours, dont l’Iguanodon.

 
Texte du panneau didactique.
 
Dinosaures du Crystal Palace.
Scénographie
Focus - ANTIQUITÉ DE L'HOMME

En 1860, le préhistorien Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) prononce et publie un discours demeuré célèbre : «De l'Homme antédiluvien et de ses oeuvres ». Après un long combat pour la reconnaissance de ses thèses, il démontre la coexistence des humains avec les grands mammifères quaternaires, mammouths, rhinocéros laineux, ours des cavernes. Le premier squelette de Néanderthalien est découvert en 1856, celui de Cro-Magnon en 1868, et, l’homme de Java ou pithécanthrope, en 1891. L’essor de la paléo-anthropologie inspirera les artistes, dont certains, comme Fernand Cormon (1845-1924), Maxime Faivre (1856-1941) ou Paul Jamin (1853-1903) se spécialiseront dans les scènes montrant une humanité à l’Âge de pierre. Louis Figuier diffuse des reconstitutions de la vie primitive auprès d’un large public.

 
Texte du panneau didactique.
 
René Rousseau-Decelle (1881-1964). La Famille préhistorique, 1906. Huile sur toile, 115 × 145 cm. La Roche-sur-Yon, musée de La Roche-sur-Yon. 2012.6.18.
 
Louis Mascre (1871-1929) et Aime Rutot (1847-1933). Précurseur de l’ère tertiaire, 1909-1914. Plâtre peint, 70 × 50 × 60 cm. Bruxelles, Institut royal des sciences naturelles de Belgique.
 
Louis Mascre (1871-1929) et Aime Rutot (1847-1933). Femme de la race de Néandertal. Descendant des précurseurs. Âge moustérien, 1909-1914. Plâtre peint, 84 × 60 × 55 cm. Bruxelles, Institut royal des sciences naturelles de Belgique.
Scénographie
 
Paul Jamin (1853-1903). Rapt à l’âge de pierre, 1888. Huile sur toile, 282 × 200,2 cm. Reims, musée des Beaux-Arts. 892.41.1.
 
Paul Richer (1849-1933). Premier artiste, 1890. Plâtre. Le Puy-en-Velay, musée Crozatier.

En 1879, la découverte de peintures pariétales laisse les préhistoriens perplexes. Il faudra une dizaine d’années pour que leur authenticité soit reconnue. Dès lors, on tente de se figurer ces « premiers artistes ». Médecin et sculpteur, Paul Richer modèle en glaise (matériau « adamique ») le «premier artiste » du paléolithique taillant une figurine de mammouth. En quête d’exactitude, il sculpte la tête d’après le crâne d’un homme de Cro-Magnon mis à sa disposition par l’anthropologue Armand de Quatrefages (1810-1892).
 
Fernand Cormon (1845-1924). Les Races humaines, esquisse pour le plafond de l’amphithéâtre de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, 1897. Huile sur toile, 76 × 118,5 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. PDUT1805.
 
Paul Jamin (1853-1903). La Fuite devant le mammouth, 1885. Huile sur toile, 125 × 94,5 cm. Paris, Muséum national d’histoire naturelle. OA. 134.


5 - ÉVOLUTION

Scénographie
5 - ÉVOLUTION

La découverte de l’ancienneté du monde, l’explosion du nombre d’espèces et l’étude de leur distribution géographique sont les prémices de l’évolutionnisme. La représentation prédominante en Occident d’une échelle linéaire des êtres allant de l’inorganique jusqu’à Dieu s’éclipse devant celle d’un arbre de vie buissonnant où toutes les espèces sont liées par la généalogie.

L’évolution est comprise et imaginée différemment en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. Lamarck introduit le principe d’une modification des espèces au fil du temps, par adaptation continuelle à des milieux instables. Darwin et
Russel Wallace théorisent la sélection naturelle comme mécanisme principal de l’évolution, auquel Darwin ajoute la sélection sexuelle. Haeckel affirme dès 1866 l’ascendance simiesque de l’homme et se fait l’apôtre du darwinisme. Marqué par Goethe et son idée de l’unité de la Nature dans toutes ses métamorphoses, il met l’accent sur l’origine de la vie à partir du monde inorganique, et sur la« récapitulation» de l’histoire de l’évolution des espèces (phylogenèse) lors du développement de l’individu (ontogenèse). Les néo-lamarckiens français, tel le zoologiste Edmond Perrier (1844-1921), ainsi que le savant anarchiste russe Piotr Kropotkine (1842-1921) souligneront la coopération et la solidarité entre les espèces plutôt que la « lutte pour l’existence ».

 
Texte du panneau didactique.
 
Gabriel von Max (1840-1915). Pithecanthropus alalus, 1894. Huile sur toile, 99 × 68,5 cm. Iéna, Friedrich-Schiller-Universität, Ernst-Haeckel-Haus. Photo : Ernst Haeckel Haus in Jena.

Pour les soixante ans d’Ernst Haeckel, le peintre munichois Gabriel von Max, darwiniste et spirite, lui offre cette représentation de l’homme-singe dépourvu du langage que le savant avait imaginé dans son Histoire de la Création (1868) et dont le médecin néerlandais Eugène Dubois avait cru retrouver les restes fossiles à Java en 1891. Dans sa lettre à Haeckel, von Max commente la larme dans l’oeil de la mère : « Je suis porté à croire que la sélection naturelle et la lutte pour l’existence ne suffisent pas à engendrer la psyché humaine, je pense plutôt que l’amour maternel et le souci maternel jouent un rôle important… ».


 
ARBRE DE VIE

Le motif de l'arbre pour figurer l'unité et la diversité du vivant est proposé dès 1809 par Jean Baptiste de Lamarck (1744-1829). Charles Darwin esquisse des arbres évolutifs en 1837, mais c'est avec sa publication L'Origine des espèces (1859) que l'arbre généalogique s'impose pour expliquer « pourquoi les espèces descendant d'un seul progéniteur se regroupent en genres ; et les genres sont inclus dans [...] des familles et des ordres, tous réunis en une classe. »

Ernst Haeckel écrira dans Les Énigmes de l'Univers : «Puisque les innombrables espèces animales et végétales n'étaient pas créées par un miracle surnaturel mais avaient évolué par transformation naturelle, leur système naturel apparaissait comme un arbre généalogique.»

Son Histoire de la création comportera une vingtaine d'arbres, le plus connu illustrant l'origine monophylétique du vivant, plantes, protistes (unicellulaires) et animaux, à partir d'une racine commune : la « monère ».

La grande échelle linéaire des êtres qui avait dominé l'imaginaire occidentale est ainsi remplacée par l'image d'un arbre de vie.

William Holman Hunt (1827-1910). Le Festival de St Swithin (Le Pigeonnier) [The Festival of St. Swithin (The Dovecot)], 1856-1866. Huile sur toile, 73 × 91 cm. Oxford, Ashmolean. Museum, University of Oxford. Photo : © Ashmolean Museum, University of Oxford.
 
Texte du panneau didactique.
Bruno Andreas Liljefors (1860-1939). Une famille de renards, 1886. Huile sur toile. Stockholm, Nationalmuseum. Photo © : Nationalmuseum.


Le peintre suédois Bruno Andreas Liljefors s’est spécialisé dans la description des animaux sauvages dans leur milieu naturel (il peindra les dioramas du Musée de biologie de Stockholm). Ce tableau montre la coexistence, dans la nature, de la prédation, de l’entraide et du jeu. Il révèle aussi la parfaite connaissance de Liljefors de l’habitat et du cycle de vie des renards : les renardeaux sont sevrés au début de l’été, lorsque le cerfeuil sauvage est en fleur, et que les pissenlits ont développé leurs aigrettes…
Focus - SÉLECTION NATURELLE

Dans L’Origine des espèces (1859). Darwin introduit le principe de la sélection naturelle en s’inspirant de la sélection artificielle pratiquée par les éleveurs, qui obtiennent de nouvelles races en croisant des individus porteurs de traits choisis. Dans la nature, la compétition pour les ressources et les modifications du milieu opèrent un tri à l’intérieur d’une espèce ; les individus les plus aptes vivent plus longtemps et ont une descendance plus nombreuse. Si pour Darwin il s’agit surtout de la persistance, à travers les générations, des variations utiles à la survie, sa théorie a souvent été réduite à une « lutte pour l’existence », une compétition sanglante entre individus et espèces. Haeckel écrira même : « En quelque coin de la nature que vous portiez vos regards, vous ne rencontrerez pas cette paix idyllique chantée par les poètes; partout, au contraire, vous verrez la guerre, l’effort pour exterminer le plus proche voisin, l’antagoniste immédiat. Passion et égoïsme, voilà, que l’on en ait ou non conscience, le ressort de la vie ». Le thème de la « lutte pour l’existence » est toutefois bien antérieur à Darwin ou Haeckel. Même pour Erasmus Darwin, grand-père de Charles Darwin et chantre des amours des plantes et des animaux,«l’ensemble de la nature est un grand abattoir ».

 
Texte du panneau didactique.
 
František Kupka (1871-1957). Anthropoïdes, 1902. Aquarelle et gouache sur papier, 59,5 × 62 cm. Prague, Galerie Zdenek Sklenar.
Focus - SÉLECTION SEXUELLE

La Beauté aurait-elle un fondement naturel ? C’est le postulat de Darwin dans sa théorie de la sélection sexuelle exposée dans La Descendance de l’homme (1871). Parallèlement à la capacité de vaincre des mâles rivaux, pour la possession des femelles, qui se traduit par des «armements » comme les cornes, les bois, ou les défenses chez nombre de mammifères, des « ornements », comme les plumes du paon détermineraient chez la femelle le choix du partenaire. La capacité à percevoir la beauté sélectionnerait la beauté. Si la peinture animalière représente souvent la lutte des mâles, le motif de la plume du paon sera souvent associé à la femme fatale et deviendra un symbole de la beauté naturelle. Les arts décoratifs s’empareront de ce motif séculaire pour en renouveler les usages et l’esthétique.

Texte du panneau didactique.

 
Archibald Thorburn (1860-1935). Paon et papillon paon [Peacock and Peacock Butterfly], 1917. Huile sur toile, 87,5 × 111,5 cm. Collection particulière.
 
Frederic Leighton (1830-1896). Pavonia, 1858-1859. Huile sur toile, 53 × 41,5 cm. Collection particulière. Photo © Fine Art Images / Bridgeman Images. Droits non exclusifs.
Scénographie
Focus - FORMES ARTISTIQUES DE LA NATURE

Ernst Haeckel, spécialiste des invertébrés marins et peintre amateur talentueux, est fasciné par les formes les plus simples de la vie. Il analyse dans sa Generelle morphologie der Organismen (1866) la géométrie des radiolaires et des méduses. Avec Kunstformen der Natur (1899-1904) illustré de 100 planches lithographiques exceptionnelles réalisées par son collaborateur Adolf Glitsch, il propose un vaste répertoire de formes naturelles qui connaîtra une large diffusion. La décoration du Musée océanographique de Monaco, inauguré en 1910 est entièrement inspirée par Haeckel, jusqu’aux lustres de Constant Roux en forme de méduse et de radiolaire. Haeckel considère l’art comme un processus organique inconscient, et la Nature comme modèle et anticipation de la création artistique.

 
Texte du panneau didactique.
 
Ernst Haeckel (1834 - 1919). Die Radiolarien : eine Monographie, Berlin : G. Reimer, 1862-1888, tome 4. Livre imprimé, 39 x 30 x 3 cm, 105 454 – 4. Photo © : Muséum national d'histoire naturelle.
 
Louis Comfort Tiffany (1848-1933). Bouteille « Paon », vers 1897. Verre, 41,2 × 12,5 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. OGAL 61.
 
Louis Comfort Tiffany (1848-1933). Vase plumes de paon, vers 1897. Verre soufflé, modelé à chaud, veine de stries irisées, 32 × 16 cm (ouverture). Paris, musée des Arts décoratifs 8554.
Ernst Haeckel (1834-1919). Kunstformen der Natur, Leipzig, Vienne, Bibliographisches Institut, 1899-1904.
Recueil de planches lithographiées, 36,1 × 27,4 cm.
Paris, collection particulière.


6 - LE SINGE - UN MIROIR ?

Scénographie
6 - LE SINGE - UN MIROIR ?

L’iconographie du singe reflète l’embarras devant nos ancêtres simiesques et la quête fantasmatique d’un «chaînon manquant » entre l’animal et l’humain. Les images gracieuses ou humoristiques des « singeries » chères au XVIIIe siècle, mettant en scène des singes imitant les humains, font place à d’autres types de représentations ; certaines, plus inquiétantes, sont des incarnations de la bestialité, comme chez Frémiet ou Kubin, d’autres se rapprochent d’une déroutante humanité, comme chez Gabriel von Max (1840-1915), darwiniste et spirite. Von Max connaissait bien les singes, qu’il affectionnait comme animaux de compagnie. Chez Gustave Moreau (1826-1898) les esquisses de singes, d’après nature, serviront de modèles pour illustrer les Fables de La Fontaine, mais aussi pour d’étonnants tableaux où, contrairement aux modèles humains, souvent hiératiques, les singes sont réalistes et très expressifs. À son tour, le cinéma interrogera l’ambiguïté de la relation entre l’homme et le singe, de Le Savant et le Chimpanzé de Georges Méliès au King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933), et aux nombreux films qui suivirent.

 
Texte du panneau didactique.
 
Emmanuel Fremiet (1824-1910). Orang-outan étranglant un sauvage de Bornéo, 1893. Plâtre polychrome, 58 × 55,5 × 27 cm. Dijon, musée des Beaux-Arts 4964.
 
Emmanuel Fremiet (1824-1910). Gorille traînant par les cheveux un guerrier, vers 1859. Paris, musée d'Orsay. Photo © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / René-Gabriel.
 
Emmanuel Fremiet (1824-1910). Gorille enlevant une femme, 1893. Chef-modèle en bronze, 45 × 26 × 40 cm. Dijon, musée des Beaux-Arts 4197.
Scénographie
Focus - ÉMOTIONS ANIMALES

Darwin a beaucoup observé ses chiens Shelah, Spark, Czar, Sappho, Dash, Pincher, Nina, Bob, Tartar, Quiz, Polly … Il a aussi étudié les expressions faciales de ses dix enfants, qu’il compare à celles observées chez les animaux, et qu’il interprète comme des vestiges de nos lointains ancêtres. Dans son livre L’Expression des émotions chez les hommes et les animaux (1872), il inaugure l’étude de la psychologie animale : les frontières entre le monde animal et le monde humain s’estompent, le singe sourit, les chiens rêvent et les moutons jouent et expriment leur joie « comme nos enfants». Toutefois les peintres, en particulier les victoriens comme Edwin Landseer (1802-1873), le peintre favori de la reine Victoria, ou Briton Rivière (1840-1920), correspondant de Darwin, avaient déjà cherché à représenter « l’âme » animale.

 
Texte du panneau didactique.
 
Sir Edwin Henry Landseer (1802-1873). Limier endormi, [Sleeping Bloodhound], 1835. Huile sur toile, 101,6 × 127 cm. Londres, Tate. Photo ©Tate, Londres, Dist.RMN-Grand Palais / Tate Photography.
 
Gustave Moreau (1826-1898). Bertrand et Raton. Paris, musée Gustave Moreau. Photo © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda.
 
Gabriel von Max (1840 - 1915). Abélard et Héloïse, après 1900. Huile sur toile, 41 × 36 cm. Los Altos Hills (CA), The Jack Daulton Collection. Photo : © The Jack Daulton Collection.
 
Gabriel von Max (1840 - 1915). Gruss [Greeting (Monkey with Bouquet)], 1901-1915.  Huile sur bois, 24 x 16 cm. The Jack Daulton Collection. © The Jack Daulton Collection.
 
Gabriel von Max (1840-1915). Model Laura, 1901-1915. Huile sur toile, 34 × 25,4 cm. The Jack Daulton Collection.
Scénographie
Focus - CARICATURES

Le XIXe siècle est le siècle de la caricature, et l’évolutionnisme est diffusé dans le grand public par les dessins satiriques de presse. Darwin est le plus ciblé, ce qui ne lui déplait pas. Il est souvent représenté avec des traits simiesques, selon une tradition iconographique plaçant le singe en double ridicule de l’homme. Emile Littré (1801-1881) dans son dictionnaire définit l’homme en tant qu’«animal mammifère, de l’ordre des primates, famille des bimanes… » et apparaît sous le crayon d’André Gill (1840-1885), en singe, faisant sauter Darwin à travers des cerceaux toilés intitulés « crédulité », «ignorance», «superstitions » et « erreurs ». Quant à Haeckel, dont le sobriquet est « Affenprofessor » (Professeur de singes), il apparaît plutôt en savant barbu ou en libre penseur s’entretenant avec Giordano Bruno condamné par l’Inquisition.

 
Texte du panneau didactique.
 
André Gill (1840 - 1885). Caricature de Charles Darwin et d'Émile Littré - La Lune Rousse / Deuxième Année - N°89 / Dimanche 18 Août 1878, 49,9 cm x 68 cm. Typographie. Paris, Musée Carnavalet. Photo : CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet.
 
Thomas Nast (1840-1902). M. Bergh à la rescousse.
Le gorille trompé : « Cet homme revendique mon pedigree. Il dit qu'il est un de mes descendants. « M. Bergh (fondateur de la Société américaine de prévention de la cruauté contre les animaux) : «Monsieur Darwin, comment pouvez-vous l'insulter de la sorte ? » .
 
George Dalziel (1815-1902) et Edward Dalziel (1817-1905) [graveurs]. Cela trouble notre singe de nouveau.
Descendante féminine d'une ascidie marine : « Vraiment M. Darwin, dites ce que vous voulez à propos de l'homme ; mais j'aimerais que vous laissiez mes émotions tranquilles! »


7 - HYBRIDES ET CHIMÈRES

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7 - HYBRIDES ET CHIMÈRES

L’homme serait-il un animal « comme un autre » ? Comment exprimer la difficile coexistence de notre humanité et de notre animalité ? La mythologie est peuplée d’êtres hybrides, centaures, minotaures, sirènes et autres chimères, que les artistes de la fin du XIXe siècle reprennent à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques, avec de nouvelles solutions plastiques dans l’articulation homme-animal. Arnold Böcklin (1827-1901) se passionne pour les recherches de la station zoologique de Naples fondée par son ami Anton Dohrn, élève indiscipliné de Haeckel - il le peindra en joyeux triton-, et peuple ses tableaux de sirènes et de centaures « réalistes » et ironiques. Chez Rodin, la Centauresse incarne une forme de tension douloureuse entre le corps animal et le torse humain; la Femme-poisson montre une inquiétante hybridation du visage. Le bestiaire fantastique de Jean Carriès (1855-1894) est inspiré par les gargouilles du Moyen Âge, l’art japonais, qui le fascine, et l’esthétique symboliste de la métamorphose, qui évoque volontiers les origines de la vie dans les eaux et les créatures hybrides.

 
Texte du panneau didactique.
 
George Frederic Watts (1817-1904). Le Minotaure [The Minotaur], 1885. Huile sur toile, 118,1 × 94,5 cm. Londres, Tate. N01634.
L’Anglais George Frederic Watts aspire à une synthèse de la science moderne évolutionniste et de la spiritualité syncrétiste enseignée par Friedrich Max Müller à Oxford. Son Minotaure, incarnation dérangeante de la bestialité, revisite la mythologie grecque qui veut qu’on lui sacrifie chaque année sept garçons et sept vierges ; appuyé au parapet il scrute leur arrivée, tandis que sa main écrase un oiseau, symbole de l’innocence de la jeunesse. L’oeuvre coïncide avec une campagne contre la prostitution infantile en Angleterre.
Arnold Böcklin (1827-1901). Combat de centaures [Kentaurenkampf], 1872-1873. Huile sur toile. Bâle, Kunstmuseum Basel. Ankauf mit Mitteln des Birmann-Fonds 1876. Photo : © Kunstmuseum Basel, Martin P. Bühler.


Depuis l’Antiquité, le Centaure incarne la réflexion sur l’hybridation et sur l’articulation entre l’humain et l’animal, la raison et les passions. Figure monstrueuse ou au contraire vision d’un accord rêvé avec la Nature, il va proliférer à la fin du XIXe siècle, lorsque la nouvelle science évolutionniste interrogera de manière inédite la nature de l’homme. Bataille des Centaures d’Arnold Böcklin en est l’un des plus beaux exemples.

 
Jean Carries (1855-1894). Batracien à queue de poisson, 1892. Grès émaillé, 30 × 84 × 69 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. OGAL33.
 
Auguste Rodin (1840-1917). Victor Peter (1840-1918) [praticien]. Femme-Poisson, 1915-1917. Marbre, 34 × 32 × 50 cm. Paris, musée Rodin. S.01103.
 
Auguste Rodin (1840-1917). Emile Godard (fondeur). La Centauresse, vers 1887, 1969 (fonte). Bronze, fonte a la cire perdue, 45,8 × 49 × 16,7 cm. Paris, musée Rodin. S.00479.
 
Jean Carries (1855-1894). Le Grenouillard, vers 1891. Grès émaillé, 31,5 × 36 × 38 cm. Paris, musée d’Orsay. OAO 523.
Scénographie
 
Odilon Redon (1840-1916). Vision sous-marine, 1900. Pastel sur papier, 66 × 54 cm. Paris, musée d’Orsay, don, 1982. RF 40499.
 
Odilon Redon (1840-1916). Oannès, 1900-1910. Huile sur toile, 66 × 51,5 cm. Otterlo, Stichting Kröller-Müller Museum. KM 109.934.


8 - LA QUÊTE DES ORIGINES. ONTOGENÈSE ET PHYLOGENÈSE

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8 - LA QUÊTE DES ORIGINES. ONTOGENÈSE ET PHYLOGENÈSE

En Europe, le darwinisme est surtout diffusé par les écrits du zoologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919). Il développe l’idée, partagée par Darwin, de la «récapitulation» : le développement de l’individu, l’ontogenèse, répétant en abrégé le développement de l’espèce, la phylogenèse. Cette théorie, qui postule un «triple parallèle entre le développement embryologique, systématique et paléontologique de l’organisme », ouvre une « ère de la généalogie ». Elle est centrale chez Freud (1856-1939) pour ses théories sur la sexualité infantile et les névroses, vues comme des « régressions » à l’enfance de l’espèce. Dans Thalassa (1924), son élève Sándor Ferenczi (1873-1933) poussera plus loin encore ces «fantaisies phylogénétiques » en théorisant la nostalgie de l’utérus maternel comme une régression vers les origines marines de la vie, et l’instinct de mort comme un retour vers la paix du monde inorganique.

Écrivains et artistes se passionneront pour la généalogie, et pour les stades primitifs de la vie. Gustave Flaubert (1821-1880), lecteur de Haeckel, écrit dans La Tentation de saint Antoine (1874) : « Je suis le contemporain des origines. J’ai habité le monde informe où sommeillaient des bêtes hermaphrodites […] quand les doigts, les nageoires et les ailes étaient confondus … ». Chez les peintres, organismes unicellulaires, animaux marins ou formes embryonnaires s’insinuent dans des univers indéfinis, ou dans les secrets de la maternité.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edvard Munch (1863-1944). Métabolisme (Vie et Mort) [Metabolism (Life and Death)], 1896. Encre de Chine sur papier velin, 48 × 36,6 cm. Oslo, Munchmuseet. MM.T 411.
Scénographie
 
Gustave Courbet (1819-1877). L'origine du monde, 1866. Huile sur toile, H. 46 ; L. 55 cm. Paris, musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski.
 
Odilon Redon (1840-1916). La Coquille, 1912. Pastel sur papier, 52 × 57,8 cm.  Paris, musée d’Orsay. RF 40494.
Courbet – Redon
Au-delà de la proximité des dates et des titres, il existe un lien entre L’Origine des espèces et L’Origine du monde de Courbet, le premier tableau réalisé par un grand artiste élevant la représentation du sexe féminin au rang d’oeuvre d’art. Tout comme Darwin, Courbet pense que la beauté est directement liée au sexe, qui, par conséquent, est « beau » et peut être représenté. La beauté n’est plus transcendante, elle est « naturelle ». Réalisé plus de quarante ans après L’Origine du monde, le pastel de Redon La Coquille, apporte une traduction symboliste de cette beauté liée au sexe en déplaçant l’interprétation de ce qui est objectivement représenté, un strombe géant, vers une double allusion au sexe féminin et aux origines de la vie dans les profondeurs sous-marines. Redon réalisera d’ailleurs une version très personnelle de la naissance de Vénus où la déesse de l’amour émerge de ce même coquillage.
Scénographie
Focus - LA FACE SOMBRE DE L'ÉVOLUTION

Vers la fin du XIXe siècle, la foi dans le progrès est troublée par la peur d’une dégénérescence de la race humaine. La théorie de la dégénérescence rapproche aliénation, crime, suicide, « instinct mauvais », comme des branches d’une même hérédité morbide, réunis dans un « cercle fatal ». Elle sera popularisée par Émile Zola dans son cycle romanesque Les Rougon-Macquart. Entre 1860 et 1880, apparaît la crainte d’une hérédité tardive de la syphilis : Alfred Fournier (1832-1914) répandra la peur du « péril vénérien ». Avec la diffusion du darwinisme, la dégénérescence est perçue comme la face sombre de l’évolution. Plusieurs artistes (Daumier, Degas, Félicien Rops…) représenteront des «dégénérés ». Mais le tableau le plus terrible est probablement Hérédité d’Edvard Munch : il montre l’horreur d’un enfant « dégénéré » né d’une mère syphilitique. Munch sera obsédé par l’hérédité. Il dessinera des arbres généalogiques, et représentera l’éternel circulum de la mort et de la vie.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edvard Munch (1863-1944). Hérédité [Woman with Sick Child. Inheritance], 1905-1906. Huile sur toile, 120,5 × 100 cm. Oslo, Munchmuseet. Photo : © Photo: Munchmuseet.
Scénographie
 
František Kupka (1871-1957). Étude pour « Conte de pistils et d’étamines », vers 1919. Gouache sur papier, 33,3 × 29 cm. Collection de Bueil & Ract-Madoux. DBRM-112.
 
Alfred Kubin (1877-1959). Scène sous-marine [Unterseestück], 1906. Tempera sur carton, 39,8 × 31,3 cm. Linz, Oberosterreichische Landesmuseum. ZW II 45.
 
Alfred Kubin (1877-1959). Fertilité (version I) [Die Fruchtbarkeit (I. Fassung)], 1901-1902. Encre de Chine, crayon, aquarelle, pulvérisation, sur papier cadastre, 37,2 × 27,2 cm. Vienne, Leopold Museum. LM 927.
 
Edvard Munch (1863 -1944). La Madone, 1895-1902. Lithographie, 64 × 48 cm. Oslo, Munchmuseet.

Le peintre norvégien Edvard Munch peint plusieurs versions de cette maternité athée entre 1894 et 1895. Dans cette lithographie, la femme-mère est encadrée par une frise de spermatozoïdes et un foetus recroquevillé. Il s’agit de l’une des premières représentations d’un foetus en peinture, qui témoigne de la fascination de l’époque pour les origines de la vie. Elle a pu inspirer Gustav Klimt pour sa peinture murale La Médecine.
 
Alfred Kubin (1877-1959). L’Heure de la naissance [Die Stunde der Geburt], 1901-1902. Encre de Chine, lavis, crachis sur papier, 25,5 × 30,6 cm. Vienne, Leopold Museum. © Eberhard Spangenberg Adagp, Paris, 2020. Photo : © Leopold Museum, Vienna.
 
Paul Gauguin (1848-1903). Soyez mystérieuses, 1890. Bas-relief en bois de tilleul polychrome, traces de crayon de couleur sombre, 73 × 95 × 5 cm. Paris, musée d’Orsay. RF 3405.


9 - LA NATURE ARTISTE

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9 - LA NATURE ARTISTE

L’impact de l’évolutionnisme en France coïncide avec le développement de l’impressionnisme ; les peintres lisent Darwin, Haeckel, Ludwig Büchner, les revues scientifiques populaires. Claude Monet (1840-1926), libre-penseur et républicain, frère d’un chimiste, ami de Clemenceau, est en contact avec les milieux qui discutent de l’évolutionnisme. On a souvent souligné son intérêt pour la lumière et la nature de la sensation, selon la théorie de la vision de Hermann von Helmholtz, qui est traduit en France en 1867. Mais avec ses Nymphéas, il interroge la Nature créatrice de formes, la montrant dans toute sa vitalité générative, tout en touchant à l’abstraction.

À partir de 1890, Odilon Redon se détourne de ses « noirs» et devient coloriste : « J’ai épousé la couleur », écrit-il. Il se tourne aussi vers de plus grands formats, notamment pour le décor du château de Domecy-sur-le-Vault. Ses peintures et ses pastels montrent son émerveillement devant la lumière et les splendeurs d’une natura naturans, une nature en métamorphose continuelle.

Le monde infiniment petit, la botanique et les profondeurs océaniques inspirent aussi les arts décoratifs (Binet, Gallé, Tiffany, Roux…). Émile Gallé réalise de nombreuses oeuvres sur le thème du monde sous-marin, dont le vase Les Fonds de la mer (1889), véritable synthèse du surgissement de la vie en milieu aquatique, et la Main aux algues et aux coquillages, testament artistique du maître verrier.

 
Texte du panneau didactique.
 
Odilon Redon (1840-1916). Décoration Domecy : arbres sur fond jaune. Commandé par Robert de Domecy pour la salle à manger de son château. Paris, musée d'Orsay. Photo © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski.
 
Claude Monet (1840-1926). Nymphéas, entre 1916 et 1919. Huile sur toile, 130 × 152 cm. Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet.
 
Claude Monet (1840-1926). Nymphéas bleus, 1916-1919. Huile sur toile, 204 x 200 cm. Paris, musée d’Orsay, RF 1981 40. Photo © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
 
Constant Roux [dessinateur] (1865-1942). Maison Baguès. Lustre radiolaire, 1910. Cuivre martelé avec des plaques de verre opalescent et rouge. Monaco, Institut océanographique, Fondation Albert Ier, Prince de Monaco – Musée océanographique de Monaco. Photo © Courtesy Institut océanographique de Monaco / Michel Dagnino.
Emile Gallé (1846-1904), Victor Prouve (1858-1943) et Louis Hestaux (1856-1919). Jardinière Flora marina, Flora exotica, 1889. Poirier sculpté, marqueterie de bois divers (amarante, ébène de Macassar, érable moucheté, orme, padoule, poirier, sycomore teinté), intérieur en zinc et plomb, 117 × 95 × 56 cm. Nancy, musée de l’École de Nancy NV76.
 
Le Musée océanographique de Monaco, voulu par le prince et océanographe Albert Ier (1848-1922), est inauguré en 1910 en présence de Haeckel. C’est un Palais de la Mer, entièrement « haeckélien » dans son décor. Les lustres en verre de Constant Roux renvoient aux créatures marines chères au savant. Le grand lustre de l’entrée évoque la méduse Rhopilema frida, ainsi nommée par Haeckel en souvenir de sa maîtresse Frida von Uslar-Gleichen. Dans le salon d’apparat, des lustres « radiolaires » célèbrent la beauté de ces « plus grands artistes parmi les protistes ».
Scénographie
 
Émile Gallé (1846-1904). La Main aux algues et aux coquillages, 1904. Paris, musée d’Orsay. Photo : © musée d’Orsay, Dist. RMN – Grand Palais / Patrice Schmidt.
 
Léon Frédéric (1856-1940). Nature ou Abondance [Nature or Abundance], 1897. Huile sur toile, 165 × 90,1 cm. Dallas, Dallas Museum of Art, Foundation for the Arts. Collection, Mrs. John B. O’Hara Fund. Image courtesy Dallas Museum of Art.
 
Émile Gallé (1846-1904). Vase « La Mer », 1900. Verre à plusieurs couches, inclusions de parcelles métalliques, inclusions d’éléments en verre, moulés et taillés, et décor gravé à la roue. Paris, musée d’Orsay, achat 2009.
 
Emile Gallé (1846-1904). Vase rouleau à décor marin, 1902-1903. Verre soufflé à plusieurs couches, inclusions métalliques, décor gravé à la roue, applications, 28,2 × 9 cm (base). Paris, musée d’Orsay, don d’Alain Pierre Bourgogne. 2018 RF MO OAO 2018 12.


10 - DE L'ÉVOLUTIONNISME À L'ÉSOTÉRISME

Scénographie
10 - DE L'ÉVOLUTIONNISME À L'ÉSOTÉRISME

Confrontés à l’évolutionnisme, nombre d’artistes refusent la « naturalisation » de l’homme. Ils recherchent une spiritualité nouvelle et une immortalité laïque dans différents courants ésotériques influents au tournant du siècle. Gabriel von Max et Kupka s’intéressent au spiritisme ; Kandinsky, Hilma af Klint, Mondrian recherchent dans la théosophie ou dans l’anthroposophie une voie permettant à l’esprit de s’élever au-dessus de la matière, et s’engagent dans l’abstraction.

Dans son ouvrage théorique Du spirituel dans l’art, Kandinsky décrit le tournant provoqué par « l’ébranlement de la religion, de la science et de la morale » ; seuls les arts, la peinture, la musique peuvent offrir une voie de sortie de « la grande obscurité qui approche », à condition de trouver des formes nouvelles, des « formes pures ». La suédoise Hilma af Klint, inspirée elle aussi par la théosophie et l’anthroposophie, peint des tableaux et des aquarelles figurant une matérialisation de l’âme, les âges de la vie, ou la géométrie de l’univers. Piet Mondrian représente l’évolution de l’esprit vers le plan astral puis le plan divin des théosophes.

 
Texte du panneau didactique.
 
Hilma af Klint (1862-1944). Chaos primordial, no 13 [Primordial Chaos, No. 13 Group 1, Series WU (The Rose)], 1906. Huile sur toile, 53,5 × 37 cm. Stockholm, The Hilma af Klint Foundation. By courtesy of the Hilma af Klint Foundation. Photo : © Moderna Museet, Stockholm, Sweden.
Piet Mondrian (1872-1944). Évolution, 1911. Huile sur toile, 183 x 257,5 cm. La Haye, Kunstmuseum Den Haag. Photo Kunstmuseeum den Haag.

L’Évolution évoquée dans le grand triptyque du peintre hollandais Piet Mondrian n’est pas l’évolution des espèces, mais l’évolution spirituelle qui mène de la condition humaine « naturelle » - où l’esprit est « endormi », prisonnier de la matière - à l’éveil de l’âme à la conscience, et jusqu’à la spiritualité pure. La figure féminine qui incarne ces trois états est enceinte, sans doute de cet « homme futur » dont Mondrian souhaite l’avènement.

 
Wassily Kandinsky (1866-1944). Sans titre (Déluge) [Unbenanntes Bild (Sintflut)], 1914. Huile sur toile, 108 × 139,5 cm. Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus. GMS 72.
 
František Kupka (1871-1957). Motif hindou (Dégradés rouges), 1919. Huile sur toile, 124,5 × 122 cm. Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle. © Adagp, Paris, 2020. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat.


11 - ÉPILOGUE

Scénographie
11 - ÉPILOGUE

Avec ses hécatombes, la Grande Guerre sonne le glas de ce « long dix-neuvième siècle » que vous venez de parcourir. Suicide de l’ancienne Europe, elle inaugure une époque terrible où les dérives scientistes des théories darwiniennes (vision purement « zoologique » de l’homme, darwinisme social, eugénisme) sont incorporées dans les idéologies totalitaires qui voudront forger un « homme nouveau » par la sélection et l’élimination des êtres considérés comme inférieurs. La technique s’étendra de la production à l’échelle mondiale de produits manufacturés à la fabrication d’armes d’une puissance illimitée.

En parallèle, les recherches en biologie et génétique ont définitivement confirmé nos liens de parent avec tous les êtres vivants, et rapproché nos destinées dans un même écosystème. Pourtant, le « continuisme » qui insère l’homme dans une longue généalogie animale n’a pas renouvelé l’ancienne idée d’un monde « plein » de formes vivantes dont chacune serait nécessaire à l’harmonie du tout. Au contraire, s’est imposée l’idée d’un surhomme qui laisserait loin derrière lui les ébauches animales, et recréerait l’homme et le monde.

La Nature à deux visages. C’est une mère généreuse, qui produit une multiplicité de formes admirables. C’est aussi une marâtre qui ne se soucie pas de ses enfants. Elle a des lois, mais ses lois ne sont pas humaines. Elle tue et détruit, comme elle engendre continuellement des nouvelles formes de vie.

En ce début de XXIe siècle, avec le dérèglement climatique et la Sixième extinction des espèces, notre vision de la Terre redeviendrait-elle celle d’un monde clos, fini, menacé d’anéantissement ? Saurons-nous repenser notre relation avec la Nature, notre berceau ? Saurons-nous en préserver la diversité, et peut-être retrouver l’émerveillement que sa beauté a suscité auprès des artistes et des poètes du passé ?

 
Texte du panneau didactique.
 
Rudolf Schlichter (1890-1955). Pouvoir aveugle [Blinde Macht], 1932-1937. Huile sur toile, 179 × 100 cm. Berlin, Berlinische Galerie. BG-M 1984/79.


NEF DU MUSÉE D'ORSAY

Marguerite [Parkie], éléphant d’Asie femelle, spécimen historique ramené à la Ménagerie depuis le zoo du Stathouder à Loos en 1798, naturalisé, 1798. 310 × 420 × 130 cm. Paris, Muséum national d’histoire naturelle. Photo © Musée d’Orsay / Sophie Crépy, 2020.

Quelle étrange voisinage ! Marguerite, éléphante d’Asie, parfois surnommée Parkie, a quitté momentanément le Museum d'histoire naturelle pour s'installer parmi les sculptures du musée d'Orsay pendant l’exposition Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXe. Elle nous interpelle ainsi sur les relations étroites entre la nature, les sciences et les arts qui en sont le fil conducteur.
Marguerite, capturée à Ceylan à la fin du XVIIIe siècle, ainsi qu’un mâle dénommé Hans, sont acheminés en Hollande, via la Compagnie maritime des Indes Orientales, et rejoignent la ménagerie du prince d’Orange. Mais, dans le contexte des guerres de la Révolution, ils sont saisis par l’armée française puis conduits à Paris, à la ménagerie du Jardin des Plantes conçue pour étudier, préserver les espèces animales et instruire le public. On y recueillait alors également les animaux de la Ménagerie royale du Château de Versailles en déshérence. Après vingt-deux mois de voyage par la route, les canaux, la mer et enfin la Seine, ils arrivent le 23 mars 1798.
L’engouement est tel que le peintre et naturaliste Jean-Pierre Houël rédige leur biographie, relatant entre-autres l’épisode d’un concert avec des musiciens du Conservatoire, destiné à étudier la sensibilité des pachydermes à la musique à travers des airs de Gluck à Mozart, ou encore le très populaire « Ça ira, ça ira ». Hans survit quatre années à sa captivité puis, naturalisé, entre au Musée des Sciences Naturelles de Bourges ; Marguerite vivra jusqu’en 1816 et rejoindra le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.