RON MUECK

Article publié exclusivement sur le site Internet, avec la Lettre n° 356
du 17 juin 2013


RON MUECK. C'est dans le magnifique édifice conçu par Jean Nouvel, inauguré en 1994, que nous pouvons apprécier, après l'exposition de 2005, neuf autres sculptures de Ron Mueck, sur la quarantaine qu'il a réalisées depuis 1997, dont trois spécialement créées pour cette manifestation.
Né en 1958 à Melbourne, Ron Mueck a commencé sa carrière en modélisant des marionnettes pour la télévision et le cinéma, puis en créant des mannequins destinés à la photographie. En 1997 il réalise Dead Dad, une sculpture représentant, à l'échelle deux tiers, son père mort (*). C'était pour lui, qui n'avait pas pu assister à ses obsèques, une façon de faire son deuil. C'est véritablement cette œuvre qui le révèle à l'exposition Sensation à la Royal Academy of Arts (Londres). Depuis il a réalisé toutes sortes de sculptures hyper réalistes, toujours à des échelles différentes de la taille réelle, soit plus petites, soit plus grandes. On se souvient de In Bed (2005), représentant une femme reposant dans son lit, tête relevée, jambes repliées sous les draps, mesurant six mètres de long, exposée ici même, ou encore de Big Man (2000), une sculpture de 2 x 2 x 1,2 mètres, représentant un homme nu, assis sur le sol, présentée au Grand Palais en 2005 dans l'exposition Mélancolie (Lettre 248).
Le réalisme incroyable de ces sculptures, réalisées le plus souvent en résine de polyester pigmentée sur fibre de verre, avec une peau en silicone, de vrais poils et cheveux, de vrais vêtements réalisés spécialement pour ces personnages, a quelque chose de troublant et de dérangeant. Selon la distance à laquelle on se trouve, et sans l'échelle que les autres visiteurs, proches de l'œuvre, nous rappellent, nous aurions l'impression d'être en présence de personnes vivantes prêtes à s'animer. On comprend aisément que pour une seule sculpture, il faille au moins six mois à Ron Mueck et à ses deux ou trois assistants, pour parvenir à un tel niveau de réalisme, avec les plis, les pores, les rides et ridules de la peau et tous les petits détails d'un être vivant. Malgré tout, c'est à partir d'un travail classique de sculpteur, en concevant ses personnages avec de la cire ou de l'argile, que Ron Mueck arrive à ce résultat. Le film Still Life : Ron Mueck at work, réalisé par Gautier Deblonde, photographe et ami de l'artiste, durant les dix-huit mois consacrés à la réalisation des trois dernières sculptures de celui-ci, montre très clairement, en cinquante minutes, comment s'élaborent de telles sculptures. Projeté à la fin de l'exposition, c'est un complément indispensable à celle-ci.
Que dire sur les neuf sculptures exposées là ? Les deux plus anciennes (2002) sont, l'une très petite, Man in a boat, représentant un petit homme nu et manifestement inquiet dans une grande barque qui doit être authentique et l'autre, Mask II, très grande. Cette dernière représente le visage d'un homme endormi, peut-être Ron Mueck lui-même, la joue droite écrasée sur le socle. En en faisant le tour, on voit qu'il ne s'agit que d'un masque, entièrement creux. Quatre œuvres sont datées de 2009. Trois d'entre elles représentent des personnes plus petites que dans la réalité. La première Youth, montre un jeune noir regardant une blessure qu'il a sur le flanc droit et qui évoque immanquablement le coup de lance reçu par le Christ ou encore Saint-Thomas touchant du doigt cette blessure. La seconde, Drift, représente un homme en caleçon de bain sur un matelas pneumatique, les bras écartés du corps. Elle est exposée, fait exceptionnel, accrochée à un mur de couleur bleue verdâtre, et peut évoquer le Christ sur sa croix. D'ailleurs les commissaires l'ont présentée face à la précédente. La troisième, Woman with sticks, est la plus mystérieuse. Elle représente une femme nue, courbée en arrière, tenant dans ses bras un énorme fagot de bois et pourtant légèrement souriante malgré sa lourde charge. La quatrième de 2009, Still life, est unique dans l'œuvre de Ron Mueck. Elle représente un poulet plumé de plus de deux mètres de long, suspendu à un fil. C'est en voyant les images de ces animaux exterminés durant la période de la grippe aviaire, que l'artiste a tenté un rapprochement, par la dimension, avec les hommes, auteurs de ce massacre. C'est aussi pour lui une façon d'explorer de nouvelles techniques.
Les trois sculptures créées à l'occasion de cette exposition semblent marquer un tournant dans le travail de l'artiste. En effet toutes les trois représentent des couples. Un jeune couple, Young couple (2013), une mère avec son bébé, Woman with shopping (2013) et un couple âgé sur une plage, Couple under an umbrella (2013). La première montre un couple marchant dans la rue, apparemment normalement, sauf qu'en regardant derrière, on constate que le garçon agrippe le bras de sa compagne et non sa main, geste étrange que chacun interprétera à sa manière. La seconde montre une mère au visage fermé, portant son bébé sur sa poitrine. En effet elle revient de faire ses courses et a les mains prises par des sacs en plastique, ce qui lui interdit tout geste de tendresse avec son petit. Ces deux premières sculptures sont de petites tailles, de l'ordre d'un mètre de haut. La dernière est la plus spectaculaire de l'exposition. On peut d'ailleurs la voir depuis la rue, à travers les parois en verre de l'immeuble. Elle représente un couple âgé en maillot de bains, sans doute sur une plage, assis sur une serviette, sous un parasol, et mesure quatre mètres dans sa plus grande dimension. La femme soutient sur ses cuisses la tête de l'homme qui, de son côté, lui enlace le bras dans un geste tendre que ne traduit cependant pas l'expression de leur visage. La force de l'habitude peut-être ? Une exposition rare et passionnante. Fondation Cartier pour l'art contemporain 14e. Jusqu'au 27 octobre 2013.
(*) Cette sculpture est visible depuis le 24 septembre au Musée d'Orsay dans le cadre de l'exposition Masculin / Masculin. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien : www.fondation.cartier.com.


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