LA FABRIQUE DES IMAGES

Article publié dans la Lettre n° 314


LA FABRIQUE DES IMAGES. Disons le d’emblée, cette exposition n’est pas d’un abord facile car elle fait appel à des concepts avec lesquels le visiteur n’est pas familiarisé. Heureusement comme elle s’inscrit dans le contexte de la recherche et de l’enseignement scientifique du musée du Quai Branly, il y a de nombreuses explications, des vidéos et un souci de clarté dans la présentation des 160 œuvres et objets, qui facilitent la compréhension.
Son commissaire, Philippe Descola, est l’élève et le successeur de Claude Lévi-Strauss. Dans une première salle il décrit ce qu’il appelle les quatre ontologies, c’est-à-dire les quatre « systèmes de distribution de propriétés ». On donne telle ou telle propriété à tel ou tel « existant », que cet existant soit un objet, une plante, un animal ou une personne. Dès ce moment-là, nous constatons que l’ontologie qui est la nôtre, le naturalisme, avec laquelle, sans en être conscients, nous sommes si familiers, n’est qu’une façon parmi d’autres de « fabriquer » et de transmettre une connaissance, une source d’information inscrite dans la mémoire d’un peuple, de tisser les liens qui unissent les groupes humains entre eux. Après ce rapide aperçu, le parcours de l’exposition nous conduit successivement à travers ces quatre ontologies.
La première est l’animisme, c’est-à-dire la « généralisation aux non-humains d’une intériorité de type humain ». Dans ce « monde animé », l’animisme rend visible « l’intériorité des différentes sortes d’existant et montre que celle-ci se loge dans des corps aux apparences dissemblables ». Cette ontologie se rencontre en Amazonie, dans le nord de l’Amérique du Nord, en Sibérie, dans certaines parties de l’Asie du sud-est et de la Mélanésie. Quand un humain revêt un costume animal, il emprunte aux animaux leurs aptitudes biologiques et donc l’efficacité avec laquelle ces derniers tirent parti de leur environnement. La deuxième est le naturalisme. Dans ce « monde objectif », qui domine en Occident depuis l’âge classique, « les humains se distinguent du reste des êtres et des choses car l’on dit qu’ils sont les seuls à posséder une intériorité, bien qu’ils se rattachent aux non-humains par leurs caractéristiques matérielles ». Il faut donc faire figurer l’intériorité distinctive de chaque humain et la continuité physique des êtres et des choses dans un espace homogène.
Vient ensuite le totémisme. Dans ce « monde subdivisé » que l’on rencontre, par exemple, parmi les aborigènes australiens, « certains humains et non-humains partagent, à l’intérieur d’une classe nommée, les mêmes qualités physiques et morales issues d’un prototype, tout en se distinguant en bloc d’autres classes du même type ». Des peintures sur écorces ou des peintures acryliques illustrent cette partie dont le prototype est « l’être du rêve ».
Dans la quatrième ontologie, la plus répandue dans le monde (Chine, Europe de la Renaissance, Afrique de l’Ouest, Andes, Méso- Amérique …), « tous les occupants du monde, y compris leurs composantes élémentaires, sont dits différents les uns des autres, raison pour laquelle on s’efforce de trouver entre eux des rapports de correspondance ». Dans ce « monde enchevêtré » on trouve donc des êtres composites, telle la chimère, la personne humaine vue comme un monde en miniature ou des figurines représentant des « réseaux ».
Pour finir, Philippe Descola nous montre des faux-amis, c’est-à-dire des « images ayant des propriétés formelles similaires, mais dont les conventions figuratives répondent à des principes tout à fait différents ». Par exemple la peinture de paysage, la figuration humaine, le portrait et les masques à forme d’oiseaux. Une exposition passionnante, bien documentée, dont on sort avec la certitude d’avoir appris quelque chose ! Musée du Quai Branly 7e. Jusqu’au 17 juillet 2011. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien : www.quaibranly.fr.


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