DIVAS
D’Oum Kalthoum à Dalida

Article publié dans la Lettre n°530 du 15 septembre 2021



 
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DIVAS. D’Oum Kalthoum à Dalida. Il ne reste que quelques jours pour voir cette passionnante exposition où la musique et les films rivalisent avec les images et les objets. Hanna Boghanim et Élodie Bouffard, les commissaires, nous décrivent l’univers de ces femmes puissantes et adulées en quatre sections. La première, peut-être la plus intéressante car la plus mal connue, nous présente des femmes pionnières et avant-gardistes dans le Caire cosmopolite des années 1920, les Années folles. Hoda Chaaraoui (1879-1947), première femme à se dévoiler publiquement, fonde avec Ceza Nabaraoui (1897-1985), en 1923, l’Union féministe égyptienne pour la défense des droits des femmes. Ceza Nabaraoui devient la rédactrice en chef de la revue féministe L’Égyptienne (Al-Misriyah). Un peu plus tard, en 1925, l’actrice Rose al-Youssef (1898-1958) crée un journal satirique et de divertissement auquel elle donne son nom ! Les premières divas, oubliées ou méconnues aujourd’hui, apparaissent à cette époque. Citons Mounira al-Mahdiyya (1885-1965), chanteuse et première actrice musulmane à apparaître sur scène ; Badia Massabni (1892-1974), danseuse orientale et fondatrice de nouveaux lieux de spectacles et de concerts ; Assia Dagher (1908-1986) et Aziza Amir (1901-1952), figures engagées d’une industrie cinématographique égyptienne naissante. C’est grâce à ses pionnières que les grandes divas des années 1940-1970 ont pu exister et acquérir auprès de publics majoritairement masculins une reconnaissance incontestée.
La seconde partie, consacrée aux « voix d’or », nous fait entrer dans l’intimité de quatre chanteuses d’exception, d’origine et de confessions différentes, qui ont suscité un engouement populaire extraordinaire dans l’ensemble des pays arabes. La première et la plus connue, Oum Kalthoum (v. 1900-1975) est née dans l’Égypte rurale. Elle est surnommée « l’Astre de l’Orient » et s’impose comme la « plus remarquable artiste vocale arabe du XXe siècle ». Elle est connue pour ce genre nouveau qu’est la chanson longue (seulement deux chansons pour son concert à l’Olympia, mais de une heure et demi chacune !), avec de larges temps d’improvisation, et pour sa capacité à mener le public jusqu’à une émotion artistique d’une grande intensité, proche de l’extase musicale, le tarab.
Vient ensuite Amal al-Atrache (v. 1917-1944), issue d’une famille princière druze d’origine syro-libanaise, connue sous le nom de scène d’Asmahan (La sublime). Mariée  avec son cousin (deux fois), elle ne supporte pas la vie dans le djebel et le quitte pour retrouver sa vie tumultueuse au Caire. L’amplitude de sa voix et sa grande maîtrise technique la place parmi les plus grandes chanteuses des années 1930. Espionne pendant la seconde Guerre Mondiale, elle meurt à l’âge de 27 ans, noyée dans le Nil avec son amie Mary Baines. Leur voiture, conduite par un chauffeur inhabituel, qui survit au drame, avait sombré dans le fleuve, alimentant moult spéculations.
La troisième de ces « voix d’or », fille d’un militant nationaliste algérien qui tenait un cabaret dans le Quartier Latin, le « Tam Tam » (Tunisie, Algérie, Maroc !), est née à Puteaux. C’est Warda Ftouki (1939-2012) connue sous le nom de Warda « al-Djazaïria » (« la Rose algérienne »). Son style perpétue l’héritage d’Oum Kalthoum tout en innovant en introduisant des sonorités du Maghreb. Warda connaît un succès immense avec plusieurs dizaines de millions d’albums vendus dans le monde et un répertoire de plus de 300 chansons portées par une voix exceptionnelle.
La dernière est née à Beyrouth en 1934 et a toujours refusé de quitter son pays trop longtemps, même pour des tournages de films ou pendant la guerre civile. De son vrai nom Nouhad Haddad, elle a pris celui de « Fayrouz » qui signifie Turquoise en arabe. Elle connaît une renommée internationale suite à ses chansons pour la Palestine. Le président Emmanuel Macron lui a remis une décoration en 2020, lors de sa visite au Liban, après les explosions dans le port de Beyrouth.
Toutes ces divas ont également tourné dans des films bien que ce ne fut pas leur motivation première. C’est tout le contraire pour celles auxquelles est consacrée la troisième section. À partir du milieu des années 1940, l’industrie cinématographique égyptienne, la quatrième du monde en production de films, domine totalement le marché du cinéma arabe. Le Caire devient « Hollywood sur Nil » ou « Nilwood ». La plupart des genres sont abordés mais c’est la comédie musicale qui remporte le plus de succès. Plus de 225 films musicaux dansants seront réalisés jusque dans les années 1960. Le star system met en avant ces divas actrices, chanteuses et/ou danseuses, au glamour fascinant. Le parcours nous présente successivement Sabah (1927-2014) qui apparaît dans une centaine de films, y interprétant plus de 3500 chansons ; Hind Rostom (1926-2011), la « Marilyn de l’Orient », qualificatif qu’elle trouvait réducteur, danseuse et actrice d’une « beauté hypnotique » ; Samia Gamal (1924-1994), qui excelle dans la danse orientale (sharqi) à laquelle elle mêle des influences hollywoodiennes, sud-américaines et du ballet classique. On la connaît en France grâce au film de Jacques Becker avec Fernandel, Ali baba et les quarante voleurs (1954) ; Faten Hamama (1931-2015) qui tournera avec les plus grands réalisateurs dans plus de 57 films, interprétant tous les rôles et formant avec le chrétien Michel Chalhoub, futur Omar Sharif après sa conversion à l’islam pour l’épouser, l’un des couples les plus mythiques du cinéma égyptien ; Laila Mourad (1918-1995), chanteuse d’origine juive à la voix sublime, qui se convertit à l’islam pour épouser le réalisateur Anwar Wagdi avec lequel elle aura une relation orageuse rythmée par trois divorces ; Souad Hosni (1942-2001), actrice dans soixante-quinze films, allant de la comédie aux films policiers et mélodramatiques. Également icône du réalisme égyptien, elle se marie cinq fois et meurt tragiquement pendant son exil londonien ; Tahiyya Carioca (1919-1999), danseuse et actrice qui introduit dans ses performances des rythmes d'Amérique latine, notamment la carioca (samba), d’où son nom de scène. Elle tourne au cinéma dans plus de cent-vingt films et se marie quatorze fois ! Cette section se termine avec la jeune Iolanda Gigliotti (1933-1987), Miss Égypte en 1954, à savoir Dalida. Si elle a tournée dans quelques films, ce n’est pas vraiment une star du cinéma. Elle rencontre rapidement le succès, en France, en tant que chanteuse, puis en Égypte et au Liban. En 1977 elle reprend une chanson égyptienne de 1919, écrite par un auteur compositeur nationaliste, Salma Ya-Salama, qu’elle chante en six langues. Le succès est vertigineux.
Les commissaires complètent ce tableau avec une quatrième partie où des artistes contemporains rendent hommage, chacun à sa façon, à ces divas. Une exposition pleine de musique et de charme. R.P. Institut du Monde Arabe 5e. Jusqu’au 26 septembre 2021. Lien : www.imarabe.org.


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