LE CORPS DECOUVERT

Article publié dans la Lettre n° 341
du 21 mai 2012


LE CORPS DECOUVERT. Le propos de cette exposition hors norme est tout d’abord de nous montrer que la représentation du corps n’est pas un interdit dans l’art des civilisations arabes. Nous le savions déjà en ce qui concerne d’autres civilisations islamiques comme la Perse, l’Inde ou l’Empire ottoman. Mais le plus surprenant, en un temps où le voile revient en force dans des pays qui l’avaient quasiment aboli il y a des décennies (Turquie, Egypte), c’est de voir l’importance du nu dans l’art arabe, à travers les œuvres de quelque soixante-dix artistes.
L’exposition commence par des toiles réalisées par des artistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. A cette époque, ceux qui le peuvent, entreprennent ce « grand tour » qui les mène en Italie et en France, voire plus loin. Dans les ateliers qu’ils fréquentent, ils acquièrent la maîtrise des techniques et passent inévitablement par l’étape de la peinture d’après modèle vivant, fondement de l’enseignement académique. A leur retour, principalement au Liban, en Syrie et en Egypte, ils continuent dans cette voie, non sans recherche personnelle.
De cette période nous voyons, entre autres, des toiles des Libanais Khalil Saleeby (Eve, 1901) et Georges Corm (Nu au coffre, 1921 et des Egyptiens Georges Hanna Sabbagh (Nu devant la ville, 1921, précurseur de la photographie Gunilla Bergström, au-dessus de Paris d’Helmut Newton !) et Mahmoud Saïd (L’Endormie, 1933). Certains fondent des écoles des beaux arts, comme celle du Caire, la première, en 1908. Dès la deuxième salle, les commissaires ont accroché en contrepoint des toiles ou des photographies d’artistes contemporains qui se jouent des clichés orientalisants. C’est le cas de Youssef Nabil avec ses photos colorées à la main de la chanteuse Natacha Atlas habillée en danseuse du ventre. Parmi tous les tableaux de cette salle, l’un est particulièrement symbolique. Réalisé par Omar Onsi en 1945, il s’intitule Jeunes femmes visitant une exposition et représente un groupe de femmes en tchador regardant une toile sur laquelle deux femmes nues conversent. Un abîme les sépare et les interpelle !
La suite de l’exposition est thématique et mêle tous les genres : peinture, dessin, sculptures, photographie, vidéo, etc. Il est impossible de citer tous les artistes mais certaines œuvres nous touchent plus que d’autres par leur originalité, leur sujet ou leur traitement. C’est le cas de la vidéo d’Adel Abidin, Ping-Pong, 2009, où une femme nue tient lieu de filet ; de la photographie de Mehdi-Georges Lahlou, Mouvement décomposé, 2010 ; de la sculpture d’Huguette Caland, artiste emblématique qui vit aux Etats-Unis , Mannequin, 2010 ; du tableau d’Ahmed Hajeri, Entre deux cultures, 2001, sorte de Picasso orientalisant ; du livre peint de Sakher Farzat, Corps, 2006 ou encore du délicieux tableau de Mona Trad Dabaji, Nu au shesh VI, 2010.
A côté d’œuvres légères, avec des sujets simplement dénudés, nous avons des représentations franchement érotiques comme celles de Lamia Ziadié, Pigalle, Passy, etc., 2008, ou de Fouad Bellamine, Sans titre, 2008, voire même, en plus subtil, d’Huguette Caland déjà citée. Le comble est atteint avec The Large Black Painting de Ghada Amer, 2001, où, en s’approchant on découvre une multitude de figures érotiques invisibles de loin !
Enfin il y a des thèmes beaucoup plus graves évoquant la guerre comme l’Homme à la perche de Mahi Binebine, 2011, ou la solitude, comme Le Déraciné de Naman Hadi, 1984. Cette exposition tout à fait intéressante et inattendue nous prouve qu’il existe des artistes arabes qui peuvent se mesurer sans rougir à leurs confrères occidentaux, y compris sur des sujets sensibles comme le nu. Malheureusement, il est évident qu’une telle exposition ne pourrait pas se tenir dans un seul des pays d’où viennent ces artistes, même si beaucoup continuent, pour combien de temps encore (?), d’y travailler. Institut du Monde Arabe 5e. Jusqu’au 15 juillet 2012. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien : www.imarabe.org.


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