CARAVAGE À ROME
Amis et ennemis

Article publié dans la Lettre n° 469
du 26 décembre 2018


 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

CARAVAGE À ROME. Amis et ennemis. On connaît moins de cent tableaux peints par Michelangelo Merisi, dit « Caravage », du nom du petit bourg à quelques kilomètres de Bergame où travaillait son père qui avait fui Milan, suite à une terrible épidémie de peste. En nous présentant dix chefs-d’œuvre de ce maître du clair-obscur, le musée Jacquemart-André nous permet de mieux cerner ce qu’il y a d’unique chez ce peintre qui a développé un style pictural révolutionnaire, caractérisé par un réalisme et une humanité sans précédent. Sur ces dix tableaux, sept n’ont jamais été exposés en France. Ces quelques chiffres permettent de mesurer l’importance de cette exposition. À côté de ces toiles du maître sont présentées des œuvres de contemporains de renom ayant évolué autour de Caravage, comme Giovanni Baglione, Bartolomeo Manfredi, Orazio Gentileschi et sa fille Artemisia ou Jusepe de Ribera. Tous ont été influencés par la puissance de l’art de Caravage et l’ont plus ou moins copié, au grand dam du maître. En effet, en lisant les panneaux didactiques, on voit que la vie de Caravage n’a pas été un long fleuve tranquille.
Né à Milan en 1571, il quitte la Lombardie en 1592 pour s’établir à Rome où le pape Clément VIII, qui sera l’un de ses protecteurs, vient d’être élu. Plus tard, en dehors de commandes prestigieuses pour des nobles gravitant dans l’entourage du pape (Le Joueur de Luth ; Judith décapitant Holopherne) ou pour des églises (Saint-Louis-des-Français ; Santa Maria del Popolo), on le retrouve dans divers ennuis judiciaires. Il est condamné à la prison pour être l’un des auteurs d’un poème satyrique injurieux contre le peintre Giovanni Baglione ; il est arrêté plusieurs fois pour port d’arme illégal, injures ou bagarres. Enfin, en 1606, il blesse mortellement d’un coup d’épée Ranuccio Tomassoni et est condamné à mort par contumace. Heureusement, n’attendant pas sa condamnation, Caravage se réfugie à Naples, qu’il quitte l’année suivante pour aller à Malte où il est fait chevalier de l’ordre de Malte en 1608. Cela ne dure pas. Suite à un différend avec un autre chevalier, il est emprisonné et radié de l’ordre. Il réussit à s’enfuir et va se réfugier à Syracuse, en Sicile. L’année suivante il regagne Naples où, peu de temps après son arrivée, il est blessé au visage au cours d’une rixe. En 1610 il embarque en direction de Rome dans l’espoir d’obtenir la grâce du pape. En cours de route, il est arrêté et jeté en prison pendant deux jours, tandis que son bateau part avec ses derniers tableaux. Il continue par ses propres moyens mais meurt en chemin, à Porto Ercole, le 18 juillet, à l’âge de 38 ans, des suites d’une maladie, peut-être le paludisme ou le saturnisme.
Le parcours de l’exposition ne suit pas cette chronologie où l’art se mêle à la violence mais présente Caravage par thèmes, confrontant ses œuvres à celles de ses contemporains. Dans la première section, « Le théâtre des têtes coupées », on admire sa Judith décapitant Holopherne (vers 1600), montrant une jeune femme déterminée décapitant un homme qui s’accroche désespérément à ses draps. À côté de ce chef-d’œuvre, les toiles d’Orazio Gentileschi et de Carlo Saraceni, montrant Judith tenant la tête une fois tranchée n’ont pas la même intensité dramatique. Dans cette section on voit aussi un David et Goliath d’Orazio Borgianni, très semblable dans sa composition au tableau de Caravage et un David avec la tête de Goliath du Cavalier d’Arpin, chez qui Caravage travailla quelques mois.
Dans la section suivante, on admire Le Joueur de Luth (1595-1596), dans sa magnifique version du musée de l’Ermitage et un tableau de Giovanni Baglione, L'Amour sacré terrassant l'Amour profane dans lequel le diable aurait les traits de Caravage ! Vient ensuite un tableau représentant Le Jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (1602), permettant à Caravage de représenter, dans un tableau religieux, un nu masculin peint « d’après un modèle vivant », une idée qui sera reprise par d’autres artistes comme Bartolomeo Manfredi, dont on voit Saint Jean-Baptiste tenant un mouton.
Après deux tableaux de contemporains, l’un d’Annibal Carrache (L’Adoration des Bergers, 1597-1598) fidèle au style de la Renaissance, l’autre de Giovanni Baglione (La Résurrection du Christ, 1601-1603), objet de moquerie de la part de Caravage et de ses amis, on est ébloui par le Saint Jérôme écrivant (vers 1605) où la tête du saint émerge de l’obscurité, tout comme le crane qui lui fait face, et par Saint François en méditation (vers 1606), deux tableaux majeurs de Caravage.
La septième section est consacrée à « La passion du Christ, un thème caravagesque » où l’Ecce Homo (1605 ?) du maître, voisine avec une composition de Cigoli, sur le même sujet, et des Reniements de saint Pierre de Pensionante del Saraceni et Jusepe de Ribera.
Enfin, dans la dernière section, « Le Temps de la fuite », à côté du célèbre  Le Souper à Emmaüs (1606) où triomphe le clair-obscur, on peut voir, pour la première fois, côte à côte, les deux versions de Madeleine en extase (1606 ?), dont l’une ne fut découverte qu’en 2015. Une exposition magistrale, à ne pas manquer. R.P. Musée Jacquemart-André 8e. Jusqu’au 28 janvier 2019. Lien : www.musee-jacquemart-andre.com.


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