ARTEMISIA.
Pouvoir, gloire et passion d’une femme peintre

Article publié dans la Lettre n° 340
du 30 avril 2012


ARTEMISIA. Pouvoir, gloire et passion d’une femme peintre. Il a fallu attendre plus de 450 ans pour voir en France une rétrospective de la première femme peintre de l’histoire. Certes il y en avait eu d’autres avant elle, comme Lavigna Fontana, mais elles étaient cantonnées dans les sujets « mineurs » de la peinture, tels les portraits et les natures mortes, et surtout elles étaient mineures à vie et ne pouvaient travailler que sous la tutelle d’un homme, lui-même peintre ! Artemisia Gentileschi réussit à s’affranchir de tout cela.
Elle est née en 1593 à Rome. Son père, Orazio Gentileschi Lomi est, aux dires du Caravage, l’un des dix meilleurs peintres de Rome. Sa fille travaille depuis l’âge de douze ans dans son atelier comme apprentie, broyant les pigments, préparant les fonds, etc. Très vite son père prend conscience de son talent, surtout pour la représentation des portraits et des nues féminins, domaine où il n’excelle pas, et la forme à l’école du caravagisme. Il faut dire qu’à cette époque la papauté interdisait de faire poser des modèles féminins nus et que les peintres devaient se servir de modèles masculins ou prendre des risques considérables ! Pas de problème pour Artemisia qui est son propre modèle. De ses débuts, nous avons une Suzanne et les vieillards, signé de sa main en 1610. Elle avait alors dix-sept ans.
Tombée dans l’oubli au cours du XVIIIe siècle, comme tous les peintres du XVIIe, il a fallu attendre la publication par Bertolotti en 1876 du procès du viol d’Artemisia pour que la figure de cette artiste sorte de l’ombre. En effet, son père avait eu la fâcheuse idée de confier la formation de sa fille à l’art de la perspective, à son confrère Agostino Tassi. Homme peu recommandable, celui-ci succomba à la beauté de la jeune fille et la viola alors qu’elle n’avait pas encore dix-huit ans. Lui promettant le mariage alors qu’il était déjà marié (mais il prétendait avoir tué sa femme pour l’avoir trompé !), neuf mois se passèrent jusqu’à ce que son père intente un procès, pour ce qu’il nomme son « assassinat ». La procédure est sordide, Artemisia est soumise à la torture des « sibylles », des lacets qui broient les doigts, censée faire dire la vérité. Elle et son père gagnent leur procès, qui connaît un énorme retentissement à Rome, mais Tassi, bénéficiant de puissants mécènes, ne purgea jamais sa peine. Artemisia est alors contrainte de se marier avec un peintre médiocre pour mettre fin au scandale. Ce dernier, Pierantonio Stiattesi, a compris que sa femme, qui lui donnera quatre enfants, a de l’or dans les mains. Mais Artemisia, sans doute grâce à son ami Galilée, réussit à se faire nommer membre de l’Accademia del Disegno de Florence. C’est la première femme à obtenir cette très haute distinction (les membres ont rang de gentilhomme et portent l’épée), alors qu’elle n’a que vingt-trois ans. Elle acquiert ainsi une totale indépendance et peut traiter directement avec ses clients et se rendre où elle veut, sans son mari, dont on perd la trace en 1623.
C’est sans doute ce viol qui inspira à l’artiste quelques-uns de ces sujets mythologiques ou bibliques mettant en exergue l’assassinat d’un homme comme Judith et Holopherne, vers 1612, ou Yaël et Sisra, 1620. Artemisia rencontre vers 1617 le noble Francesco Maria Maringhi. Cinq lettres de celle-ci à ce dernier, parmi une quinzaine retrouvées récemment, sont exposées. Leur liaison durera jusqu’à leur mort. Cette vie romanesque a inspiré le film éponyme d’Agnès Merlet qui ressort à l’occasion de cette exposition.
Après Florence, elle travaille à Venise, puis quelques mois à Londres où elle a rejoint son père, qui y meurt en 1639, et enfin à Naples où elle meurt probablement en 1656, lors de l’épidémie de peste. Sa peinture est subtile. Les thèmes mythologiques comme les (rares) portraits sont traités avec virtuosité. Elle aime représenter des femmes héroïques comme Lucrèce, Cléopâtre, Judith et a un réel sens de la narration. Une exposition passionnante, comme ce peintre, avec près de soixante peintures. Musée Maillol 7e. Jusqu’au 15 juillet 2012. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien : www.museemaillol.com.

Dans un tout autre registre, en marge de cette exposition, nous pouvons voir une sélection de tableaux de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, très connue aujourd’hui grâce au cinéma, et de Camille Bombois, tous deux découverts, comme Picasso, par Wilhelm Unde, à qui le musée Maillol rend ainsi hommage.


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