ARMENIA SACRA

Article publié dans la Lettre n° 267


ARMENIA SACRA. Dans le cadre de l'Année de l'Arménie en France, le Louvre présente une sélection d'œuvres d'art sacré tout à fait exceptionnelles. Au nombre de deux cents, elles proviennent pour l'essentiel du Musée et du Trésor du Saint Siège d'Echtmiadzine, du Musée d'Histoire de l'Arménie et de l'Institut des manuscrits anciens du Matenadaran à Erevan. L'exposition peut être vue de deux façons, d'une part, pour tout un chacun, sous son aspect artistique et d'autre part sous son aspect historique et religieux, plus complexe car le christianisme arménien est très différent du christianisme européen.
Les objets exposés sont souvent somptueux. Nous pensons en particulier aux manuscrits enluminés parmi lesquels on trouve les plus anciens textes au monde écrits sur du parchemin, aux œuvres d'orfèvrerie, aux broderies de soie, d'or et de perles ou encore à cet extraordinaire « chaudron », magnifiquement décoré et dont l'usage est incertain.
Sur le plan historique, les panneaux sont heureusement là pour nous expliquer en détail l'histoire embrouillée de cette nation. En effet, si l'Arménie est devenue le premier Etat chrétien du monde antique, en 301, avec le baptême du roi Tiridate par saint Grégoire l'Illuminateur - à comparer au baptême de Clovis et à la conversion des francs en 496 - la royauté est abolie par les perses en 428 et ce sera l'Eglise qui assurera désormais le pouvoir et la représentation de la « nation » arménienne, même si des royaumes arméniens refleuriront, aux IXe et Xe siècles, à l'ombre du califat.
En préservant sa foi, en dépit des aléas d'une histoire tourmentée, tour à tour dominée par les Perses, les Byzantins, les Arabes, les Seldjoukides, les Mongols, l'Empire ottoman et la Perse safavide, l'Arménie existe toujours et affirme des convictions doctrinales qui lui sont propres. En effet, l'Eglise arménienne a refusé les décrets du quatrième concile œcuménique de Chalcédoine, en 451, qui a condamné les doctrines monophysites sur la nature du Christ incarné. Rappelons que cette doctrine, qui n'est pas exactement celle de l'Eglise arménienne, affirme que le Christ n'a qu'une seule nature, divine, et que celle-ci a absorbé sa nature humaine. C'est pour cela que l'Eglise arménienne est indépendante (autocéphale), avec son Saint Siège à Etchmiadzine et à sa tête un catholicos.
Autre fait marquant dans l'histoire arménienne l'invention, peu après 400, d'un alphabet propre à la langue arménienne par le moine Mesrop Machtots, ou mieux sa révélation par Dieu à ce moine. Dès lors peuvent être traduits en arménien les textes saints et toute la tradition orale, ce qui permet aux arméniens d'exprimer par l'écrit leur identité.
L'exposition se tient en deux endroits du Louvre. On commence par le Louvre médiéval où sont exposés, un peu comme ils le sont dans la réalité, une trentaine de khatchkars. Il s'agit de grande dalles de pierres commémoratives ou funéraires ornées de croix, dressées à la verticale dans les hautes plaines d'Arménie ou dans des monuments et sans équivalent ailleurs.
Ensuite on atteint la galerie de la Melpomène dont la forme basilicale est propice à une exposition de cette nature. Le parcours se déroule en six sections chronologiques. La première, qui couvre les IVe et Ve siècles est consacrée à la « Conversion au christianisme et à la naissance de l'alphabet ». L'église s'affirme comme ferment d'unité au moment où l'Arménie devient le lieu d'affrontements entre l'Empire romain d'Orient et les Perses.
La deuxième section, VIe et VIIe siècles, illustre « le premier âge d'or et l'autocéphalie ». Un magnifique linteau décoré de vendanges, des chapiteaux dont l'un, avec un aigle, provient de la célèbre église circulaire de Zvarnots, aujourd'hui en ruine, des parchemins parmi les plus anciens du monde témoignent de cette période.
La troisième section, intitulée « Résurrection des " royaumes " depuis les invasions arabes jusqu'aux invasions mongoles », recouvre les VIIIe au XIIIe siècles. Une nouvelle capitale, Ani, est alors créée. Quoique vassale de Bagdad, la royauté arménienne inaugure au Xe siècle un siècle de prospérité. C'est durant cette période, au Xe siècle, qu'apparaissent les premiers khatchkars. L'art subit les influences tant de l'islam (vantaux ornés de frises géométriques, aiguières, bassin) que de Byzance (Annonciation dans un Evangile du XIe siècle).
Vient ensuite, du XIIe au XIVe siècles, « l'Arménie cilicienne », les habitants ayant peu à peu émigré plus à l'ouest, en Cilicie. C'est l'époque des premières croisades, qui intensifient les échanges militaires et commerciaux, et se traduit par deux siècles d'un renouveau artistique d'une extraordinaire beauté (manuscrits richement illuminés) jusqu'à la prise de Sis, la capitale, par les Mamelouks d'Egypte en 1375.
La période qui s'ouvre alors, celle de la « Grande Arménie » du XIIIe au XVe siècle, après une courte période de prospérité, est marquée par l'anarchie et la désolation. Seule l'Eglise, retranchée dans ses monastères, incarne encore une forme de pouvoir. Malgré le déclin général, l'art s'épanouit dans la région du Vaspourakan (relief du sanctuaire de Spitakavor, Evangiles ornés de peintures). Enfin la période qui va du XVe à la fin du XVIIIe siècles voit l'affrontement entre les Perses et les Ottomans jusqu'en 1638, avec des déportations massives de la population. L'art subit de multiples influences, y compris occidentales avec l'arrivée de missionnaires romains. Parmi les nombreux objets illustrant cette période, mentionnons une bannière de procession (1448), un reliquaire en forme de bras, des coiffes et autres ornements liturgiques et surtout un ravissant verseur de saint Chrême, en forme de colombe, symbolisant le saint Esprit. Bien qu'elle soit un peu déroutante il faut absolument voir cette exposition qui, plus que l'histoire d'un pays, raconte à travers des objets d'art sacré l'histoire de cette nation arménienne toujours aussi vivante. Musée du Louvre 1er.
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