WHISKY

Article publié dans la Lettre n° 235


WHISKY. Film uruguayen de Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll avec Andrés Pazos, Mirella Pascual, Jorge Bolani (2004-couleurs-1h40).
Tous les matins, Don Jacobo répète exactement les mêmes gestes. Il ouvre le cadenas du rideau de fer de sa petite manufacture de chaussettes aussi délabrée que sa voiture. Marta, sa principale employée, l’attend devant la porte. Ensemble, ils entrent et accomplissent jour après jour les mêmes gestes, allumer puis éteindre. Don Jacobo traverse l’existence sans aucune émotion apparente, avare de mots, regardant sans les voir des gens qu’il voudrait transparents. Le visage de Marta porte les stigmates d’une vie terne faite d’un travail répétitif. Elle ébauche parfois un demi-sourire en écoutant la radio ou en regardant un film. Stoïque, elle accomplit sans exister vraiment, cette vie vide de sens dont le passé semble effacé et le futur incertain.
Un soir pourtant, Don Jacobo lui présente une requête pour le moins inattendue: jouer le rôle de sa femme durant quelques jours. Motif: la visite de son frère Herman. Absent le jour de l’enterrement de sa mère, il vient assister à la matzeiva, la cérémonie de la pose de la pierre tombale. Emigré au Brésil, il y a fondé sa propre fabrique de chaussettes qu’il vend avec succès. Son mariage et son bonheur d’avoir deux grandes et jolies filles achèvent un portrait idyllique que ne peut lui renvoyer Jacobo. Etre marié est un minimum. A peine surprise, Marta accepte. Un tour chez le photographe pour la traditionnelle photo de mariage, un anneau trop grand passé au doigt, les voici à l’aéroport. Herman arrive. Il respire la joie de vivre et se met en quatre pour des retrouvailles qu’il aimerait conviviales. Mais rien, pas même le séjour dans la station balnéaire qu’il leur propose, ne déridera ni ne changera l’humeur ombrageuse de Jacobo. Pour Marta en revanche, l’affectueuse présence de ce beau-frère de quelques jours, vient comme un rayon de soleil dans la tristesse quotidienne. Menue, le visage ingrat, c’est à l’intérieur qu’il faut chercher sa beauté, son humour et cette irrésistible manie de savoir parler à l’envers, là où personne ne s’est jamais attardé.
Le cinéma uruguayen est rare. Après 25 Watts, leur premier film, sorti en 2001, Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll exploitent de façon subtile ce sujet original. Ils ne racontent pas seulement un moment de vie de trois personnes, ils les place aussi dans le contexte d’une capitale où la technologie ne semble pas avoir frappé à toutes les portes. Le séjour à Piriápolis, station balnéaire sans doute florissante et à la mode autrefois, et son grand hôtel d'un autre âge, en disent long sur l’état d’un pays dont on parle peu. L’un lugubre, l’autre débonnaire, Andrés Pazos et Jorge Bolani se montrent très convaincants dans les rôles des deux frères, aux antipodes l’un de l’autre. Mais c’est sur Mirella Pascual qu’il faut s’arrêter, formidable Marta dont la vie s’éclaire, tout à coup, un trop bref instant. Lien: http://www.mk2.com/whisky/site.html


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