TRIPLE AGENT

Article publié dans la Lettre n° 226


TRIPLE AGENT. Film français de Eric Rohmer avec Serge Renko, Katerina Didaskalou, Amanda Langlet, Cyrielle Claire, Emmanuel Salinger (2003-couleurs-1h55).
Fiodor Voronine mène une vie discrète dans un petit appartement parisien, marié à Arsinoé, une jeune femme grecque qui peint chez elle des scènes de genre, à contre-pied du cubisme qui fait rage. En ce mois de mai 36, une partie de la population est toute à la joie de la victoire du Front Populaire. Si les voisins du couple, professeurs et communistes fondent tous leurs espoirs dans ce changement de gouvernement, Fiodor et son ami André, industriel, ne partagent guère leur enthousiasme. Jeune général de vingt ans de l’armée blanche, Fiodor a préféré l’exil au goulag bolchevique. Il se présente comme étant secrétaire à l’Association des anciens russes de l’armée blanche et fréquente des compatriotes en exil comme lui. Son supérieur, le général Dobrinski, va bientôt prendre sa retraite. La logique voudrait que Fiodor lui succède. « Il est très bien informé », « il ne s’est jamais trompé dans ses pronostics », deux qualités peut-être trop grandes pour un simple travail subalterne. Secrétaire ou agent simple, double, triple, on ignore tout de cet homme affable au visage lisse, parfois éclairé d’un sourire carnassier et au regard clair et impassible. Pour qui travaille-t-il? L’armée blanche, les bolcheviques ou les nazis? Sa femme le sait moins que tout autre. Il lui adresse une carte de Bruxelles. Elle apprendra des mois plus tard, par l’indiscrétion de sa meilleure amie, qu’il était à Berlin. Le jour fatidique de la disparition du général Dobrinski, avant qu’il ne disparaisse lui-même, elle lui fournira un alibi qui lui coûtera la liberté et la vie trois ans plus tard.
Le cinéma d’Eric Rohmer avait opéré un tournant avec son dernier film l’Anglaise et le Duc qui avait pour cadre la révolution française. Triple agent lui permet d'aborder un autre volet de l’histoire, le monde trouble de la politique, trois ans avant la seconde guerre mondiale. A l’aide de films et des actualités de l'époque, il reconstitue scrupuleusement ce que furent les années 36 et 37, introduisant son intrigue, la disparition jamais élucidée de Fiodor Voronine. Toujours intimiste, il nous fait passer des lambris du XVIIIe aux pièces plus simples des appartements bourgeois, là où les discussions vont bon train, à l’abri des oreilles indiscrètes. C’est ici que réside le talent de Rohmer, cet art de la discussion, de la conversation qu’il soit politique ou sentimental. On reste fasciné par cet exercice de style, évoluant dans le mystère d’une disparition, mais aussi par la description de l’existence tragique d’un couple qui s’aimait et dont le cours heureux fut brutalement interrompu un matin de l’automne 37 sans explication, juste des suppositions. Lien: www.rezofilms.com/rezo.html


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