SARABAND

Article publié dans la Lettre n° 236


SARABAND. Film suédois de Ingmar Bergman avec Liv Ullmann, Erland Josephson, Julia Dufvenius, Börje Ahlstedt (2003-couleurs-1h47).
Assise à sa table où elle a disposé des centaines de photos en noir et blanc, Marianne égrène ses souvenirs: son mariage avec Johan, ses deux filles Martha et Sarah, son divorce. Elle et Johan se sont perdus de vue depuis plus de trente ans. Elle souhaite le revoir mais hésite. Elle va pourtant parcourir les 340 km qui les séparent pour le surprendre dans sa maison de campagne qui surplombe le lac, où il s’est retiré loin du monde, milliardaire, fort d’un héritage. Elle a soixante-trois ans, lui plus de quatre-vingts. Ont-ils encore quelque chose à se dire? quelque chose en commun, à part leurs filles, l’une murée dans le silence dans un asile psychiatrique, l’autre partie pour l’Australie? Johan a un fils d’un second mariage. Henrik vit en bas, au bord du lac, avec sa fille Karin. Il partage avec elle l’amour de la musique mais entretient aussi des relations ambiguës. Son fils Henrik, Johan le méprise avec la même force que celui-ci le hait. Des rapports conflictuels se sont tissés entre eux, dont le centre est la mort, celle inacceptable d’Anna, la femme d’Henrik, décédée d’un cancer deux ans plus tôt. Si Henrik « se sent invalide » depuis le décès de sa femme, si pour Karin l’absence de sa mère est un fardeau quotidien, pour Johan aussi, la mort de cette belle-fille qu’il aimait est insupportable, tout comme l’idée que cette jeune femme, dont le portrait est présent partout, telle une icône, ait pu aimer son fils: « Il est incompréhensible qu’Henrik ait eu le droit d’aimer Anna et qu’elle ait pu l’aimer ».
Entre un prologue et un épilogue, le scénario se déroule en dix scènes, les personnages toujours filmés en gros plans, deux par deux, jamais ensemble. Sur le balcon qui surplombe un paysage à couper le souffle, dans le salon ou la bibliothèque du chalet de Johan, dans la maison du lac ou dans la chapelle, ils se rencontrent, se parlent, se disputent. Bergman trace des portraits d’hommes d’une rare férocité, renoue avec cette cruauté mentale, caractéristique du cinéma bergmanien, exprimée par des répliques terribles.
Trente ans après Scènes de la vie conjugale, le réalisateur remet en scène le couple Marianne et Johan (Liv Ullmann et Erland Josephson) mais c'est l'unique point commun. Il ne s’agit pas d’une suite. Outre son indéfectible amitié pour Erland Josephson, son ami de soixante ans de vie, et son affection pour Liv Ullmann, qui fut sa compagne, son égérie et son actrice fétiche, au coeur de ce film, se trouve un livre « Tre dagböcker » qui réunit trois journaux intimes, celui d’Ingmar Bergman, celui de sa femme Ingrid et de leur fille Maria Von Rosen. Ils commencent en 1994, lorsque Ingrid apprend qu’elle est atteinte d’un cancer de l’estomac. Saraband a un lien direct avec ce livre, la mort d’une femme aimée.
Ingmar Bergman a tourné beaucoup de films pour la télévision. Saraband est le dernier. Diffusé l’année dernière à la télévision suédoise, le voici en France, simultanément sur Arte, sur deux grands écrans parisiens et cinq provinciaux. A quatre-vingt-six ans, il le considère comme le dernier, il s’est depuis retiré sur son île de Fárö. Chef-d’oeuvre d’une beauté et d’une intimité saisissantes, il est sans aucun doute l’aboutissement d’une recherche de toute une vie, la quintessence d’une oeuvre entière où il accomplit le même travail sur les personnages en perpétuelle introspection, utilisant la même épure, rejoignant souvent le théâtre, intrinsèque à sa vie. « Nous sommes tous des analphabètes du coeur » a-t-il dit un jour. Film après film, il a appris à le lire, entre cris et chuchotements.


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