LE PRINCIPE DE L'INCERTITUDE

Article publié dans la Lettre n° 203


LE PRINCIPE DE L’INCERTITUDE. Film luzo-français de Manoel de Oliveira avec Leonor Baldaque, Leonor Silveira, Isabel Ruth, Ricardo Trepa, Ivo Canelas (2002-couleurs-2h15).
Une quinta cossue où se love une piscine, les vignes pleines de promesse à flanc de coteau, la campagne verdoyante, où domine le vert amande des oliviers, les rives nonchalantes du Douro, comme toujours, Manoel de Oliveira sait surprendre avec sa caméra la majesté des lieux où il place son intrigue, en l’occurrence le récit de la romancière Agustina Bessaluís.
L’intendante Celsa régit la maison de ses patrons partis pour l’Afrique. Elle fut autrefois la nourrice du fils de la maison, Antonio, dit Oeillet rouge, qu’elle a élevé comme son propre fils, José Luciano, surnommé Taureau bleu. Les deux garçons ont partagé leur enfance avec Camila, dont le père s’est ruiné en jouant. Aujourd’hui la jeune fille « le joyau de la famille », a l’âge de se marier. Si Taureau bleu a la réputation d’être « un prodige d’intelligence mondaine, cruel mais dénué de cynisme », Antonio est d’un tempérament plus faible et influençable. José a pour maîtresse la sulfureuse Vanessa qui brasse des affaires louches dans ses maisons de passe et de jeu. Celsa aimerait qu’Antonio épouse Camila. Elle prie les Rogers, amis de la famille, de décider le jeune homme. Camila, lys blanc de pureté, a attendu des années un mot de José qu’elle aime ardemment. Lorsqu’il se décide, il est trop tard, elle épousera Antonio. Dans l’atmosphère feutrée des dîners à la fois familiaux et mondains où tout ce petit monde se retrouve, les conversations intellectuelles policées sont parfois interrompues par des réflexions peu amènes et incongrues. Ce décalage verbal est l’une des saveurs du film. La personnalité de Vanessa et de Camila est au centre de l’intrigue. Si par ses occupations Vanessa est une femme de tête pragmatique, Camila apparemment fragile, et dont la référence est Jeanne-d’Arc qu’elle vénère, traverse, imperturbable, les aléas de sa vie dont elle semble avoir compris le sens et accepté le prix. A une réflexion de Daniel Ropers sur l’habileté des femmes à aller au-delà de la souffrance, elle opinera d’un sourire mystérieux et entendu.
Le fameux principe de l’incertitude va roder entre ces personnages complexes, incertitude de se plaire, d’être fait l’un pour l’autre. Pour Vanessa, Camila est « une mutante, quelqu’un que l’on ne peut faire souffrir ». Pour Camila, Vanessa « n’est pas encore arrivée au premier stade de l’intelligence », explicitant le mot intelligence par bonté. Quoiqu’il en soit, Vanessa deviendra la maîtresse d’Antonio. Si Monoel de Oliveira a l’art de cultiver le mystère des rapports humains, la fin cruelle et implacable rend sa démarche encore plus subtile. A quatre-vingt-douze ans, ce grand réalisateur a encore bien des choses à dire et ses interprètes entrent merveilleusement dans son jeu grâce à des dialogues finement ciselés. Lien:
www.madragoafilmes.pt/oprincipiodaincerteza/


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