ANTON TCHEKHOV 1890

Article publié exclusivement sur le site Internet, après la Lettre n° 378
du 9 février 2015

 

ANTON TCHEKHOV 1890. Film biographique de René Féret avec Nicolas Giraud, Lolita Chammah, Robinson Stévenin, Jacques Bonnafé, Jenna Thiam, Brontis Jodorowsky, Marie Féret (France, couleurs, 2015, 1h36).
Voici un film décrivant avec justesse, entre autres, une part peu connue de la vie de ce grand écrivain russe, né en 1860 au bord de la mer d'Azov et mort en 1904 en Allemagne, où il soignait sa tuberculose. Le réalisateur privilégie en effet l'année 1890 au cours de laquelle Tchekhov se rend dans l'île prison de Sakhaline, à 10 000 kilomètres de Moscou. Mais, avant d'en arriver là, il nous dépeint les débuts littéraires de l'écrivain et sa vie familiale, que l'on peut reconstituer par petites touches à travers les propos du personnage principal. Celui-ci raconte son enfance dans l'épicerie de son père, qui fit faillite, le laissant vendre les derniers biens, tandis que ses parents partaient pour Moscou. On le voit expliquer au grand écrivain Grigorovitch et à l'éditeur Souvorine, venus le voir pour lui dire qu'il avait beaucoup de talent et qu'il devrait écrire des romans et des pièces de théâtre, qu'il écrit ces petites nouvelles, souvent satiriques et drôles, qu'ils ont découvertes dans des journaux, pour faire vivre sa famille. Il écrit sous un pseudonyme (en réalité plusieurs) et ne peut pas dépasser 1200 mots, plutôt mal payés. Souvorine l'invite à venir à Saint-Pétersbourg où il met à sa disposition un appartement et un domestique, qu'il refuse.
Dans la première partie, René Féret met avant tout l'accent sur la vie de famille de Tchekhov. Grâce au succès de ses livres, de ses romans et plus tard de ses pièces, la situation des siens s'améliore au fil des ans. Il fait vivre non seulement son père, être violent qui ne sait prier qu'en hurlant (!), et sa mère, mais aussi ses deux frères ainés, son petit frère et sa sœur Macha. Cette dernière l'aide en recopiant ses manuscrits. Le réalisateur greffe ici une aventure sentimentale entre Anton Tchekhov et une jeune femme mariée, Lika, tombée amoureuse de lui à travers ses écrits, qui s'inscrit aux cours de littérature donnés par Macha afin de le rencontrer. Telle qu'elle est racontée, cette intrigue est assez peu crédible mais permet de jolies scènes intimes entre les deux amants ! René Féret n'oublie pas que Tchekhov était aussi médecin. Il nous le montre recevant ses patients chez lui ou se rendant en calèche dans la campagne. Pour lui Tchekhov aurait toujours balancé entre l'écriture et la médecine, souhaitant même privilégier celle-ci alors que nous savons qu'elle ne lui rapportait pas assez pour faire vivre sept personnes.
La seconde partie commence avec la mort de Kolia, frère aîné d'Anton, terrassé par la tuberculose. Celui-ci aurait voulu se rendre à Sakhaline et y emmener Anton. Finalement ce dernier s'y rend seul au cours de l'année 1890. Si le voyage long et périlleux n'est évoqué que par une lettre à sa sœur, l'île de Sakhaline est représentée à travers des paysages montagneux, froids, humides et brumeux de Norvège. C'est très beau et René Féret décrit avec justesse le travail de Tchekhov qui veut faire une enquête précise et complète de cet endroit où l'on envoie les condamnés au bagne ou à la prison, qui y viennent souvent avec leurs femmes et leurs enfants, qu'ils prostituent pour vivre. En quelques scènes courtes mais efficaces, il nous montre la vie de ces gens qui ne quitteront jamais cette île, même une fois leur peine achevée. Tchekhov interrogera toute la population, remplissant des milliers de fiches, qui lui permettront de publier L'Île de Sakhaline, en 1893, où il dénonçe les conditions inhumaines qui régnaient en ce lieu. De la même manière, il nous montre Tchekhov, discutant avec une institutrice, Anna, vivant dans cette île, qui lui raconte la vie misérable qu'elle mène. C'est une façon habile d'illustrer les lettres que des institutrices de village ont écrites à l'écrivain pour lui faire part de leur condition précaire et misérable. Il se servira de ces témoignages dans son récit Sur le Chariot.
Ainsi ce film est assez respectueux de la vie de ce grand écrivain et traduit en images de nombreux faits. La façon dont le personnage de Tchekhov critique la mise en scène et le jeu de la troupe qui va représenter La Mouette est révélatrice. A sa sortie en 1896, la pièce fut mal accueillie alors qu'à sa reprise, deux ans plus tard, dans une mise en scène de Constantin Stanislavski, l'auteur de La Formation de l'acteur et de La Construction du personnage, elle eut beaucoup de succès. Dans le film, on voit Tchekhov expliquer à la troupe comment elle doit jouer La Mouette et c'est le parti pris de Stanislavski qu'il expose !
On le voit, ce film est très attrayant. Les décors et les costumes qui reconstituent l'ambiance de cette fin du XIXe siècle sont très bien choisis. Les acteurs jouent avec justesse leur personnage. C'est tout particulièrement vrai pour Nicolas Giraud dans le rôle-titre et Lolita Chammah dans le rôle de Macha, sœur aimante et toute dévouée à son frère. Un film très attrayant même si l'on ne s'intéresse pas aux pièces et autres écrits de Tchekhov. R.P. Sortie en salles le 18 mars 2015.


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